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fermage offerte par un concurrent, suffisait très fréquemment à faire congédier les fermiers en possession. On regrette que l’exemple d’une instabilité si peu encourageante soit venu ici des propriétaires eux-mêmes. L’agriculture est une entreprise à longue échéance. Ils l’ont traitée comme une affaire à court terme. Ils n’ont vu que le revenu immédiat. Dans les cas où le fermier aurait été en état d’entreprendre de longs travaux d’avenir, il n’en avait nulle envie. C’était la propriété elle-même qui fuyait les longs baux. Elle croyait faire merveille quand elle les poussait jusqu’à neuf ans, quoiqu’on sache qu’en ce cas le fermier inquiet perd son goût d’améliorations trois ans avant l’échéance. Le même fermier avait, d’un autre côté, à subir les exigences de la main-d’œuvre. On avait pris en un mot une quantité de fermiers médiocres, on n’encourageait pas les bons, ceux qui avaient dans la tête et dans les mains les conditions du succès. Aussi, c’est en vain que tout a paru aller bien assez longtemps, sauf certains avertissemens redoutables. On ne pouvait espérer qu’on éviterait toujours des épreuves qui se sont fait partout sentir en Europe. Mais n’est-il pas trop certain qu’on s’est trouvé assez mal armé quand cette épreuve est venue ? On s’est vu placé en face d’une crise qui n’a été agricole qu’en partie, et qui s’est manifestée non pas exclusivement, mais surtout, comme une crise de la propriété, une crise de la rente foncière. Comment s’attendre que des baux conclus à des conditions déjà onéreuses ne deviendraient pas accablans sous le coup d’une succession de mauvaises années et du choc de la concurrence étrangère ? Il y a eu grève de fermiers alors, et on a pu se demander si ce n’était là qu’une épreuve transitoire. Oui, en partie sans doute ; mais qui peut croire qu’on reviendra, pour les rentes, à la situation de la veille ? Il faudrait un fermage plus riche et plus capable, mais il n’est pas facile de le créer à volonté en nombre de circonstances et quand le revenu du propriétaire s’est abaissé. Que peut-on faire ? L’améliorer tant qu’on pourra, lorsque le propriétaire se sentira en état de le faire, et, parmi nos propriétaires fonciers, il en est beaucoup qui ont d’autres sources de fortune que la terre et qui peuvent prélever pour elle quelques sacrifices. Non, assurément, il ne s’agit pas d’abandonner le fermage, qui a ses sortes de supériorité, mais de lui créer une meilleure situation. On ne comprend pas qu’outre de plus longs baux, la propriété n’accorde pas le remboursement au fermier sortant pour les améliorations. Ce serait le cas, comme M. Risler le faisait remarquer ici-même, d’imiter nos voisins d’outre-Manche, chez qui une loi récente a rendu ce remboursement obligatoire pour certaines améliorations, même quand le bail ne l’a pas prévu, et qui, en outre, ont soin de construire