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L’orateur, — car l’évêque de Carthage est orateur même quand il écrit, — ne pouvait échapper à la comparaison des personnes, et on sait que cette comparaison était redoutable pour Cornélius, évidemment moins imposant que son rival. 11 loue dans Cornélius ses services, ses vertus modestes ; il ne s’est pas imposé à son église ; il n’est pas devenu évêque tout d’un coup[1] ; mais il s’est élevé lentement et régulièrement par tous les degrés. Antonianus, à la lecture de ce passage, a pu sourire en se rappelant l’éclat du brusque avènement de Cyprien. Mais, outre le mérite de n’avoir pas brigué l’épiscopat, il faut compter à Cornélius celui de l’avoir accepté, c’est-à-dire accepté le poste le plus dangereux du monde chrétien, vacant par la mort d’un martyr. Un évêque de Rome, au moment où il l’est devenu, était exposé à tous les supplices ; il était lui-même un confesseur et un martyr. Et par un de ces tours ingénieux que Cyprien rencontre sans cesse : « Tout ce qu’il a pu souffrir, en réalité il l’a souffert. »

Pour Novatianus, véritablement il n’en dit rien, et cela montre assez qu’il n’a rien à en dire qui le condamne. Il fallait répondre pourtant à la question que son collègue lui avait posée : « Mais Novatianus est-il hérétique ? » Et sa réponse est : « Je n’en sais rien, et je ne me soucie pas de le savoir. Peu nous importe ce qu’il enseigne, dès qu’il n’enseigne pas chez nous. Nul n’est chrétien s’il n’est dans l’église du Christ, qui, et quel qu’il soit. Sa philosophie, son éloquence (recueillons ce témoignage en passant), ne sont rien s’il ne demeure dans la règle. Or, non-seulement il est lui-même dans le désordre, mais il le porte partout ; de tous côtés il prétend faire des évêques. » En d’autres termes, il agit partout en évêque de Rome. Il ne sait pas que le schisme n’a jamais que des commencemens et aboutit bientôt à l’impuissance. Le jour où l’autorité ecclésiastique aura la force pour se faire obéir, elle ne sera pas plus entière ni plus orgueilleuse ; et sans doute il y avait quelque honneur à l’être tant qu’elle ne régnait qu’en commandant aux esprits.

Dans cette lettre même, Cyprien n’a pas renoncé aux invectives, mais il ne peut les adresser à Novatianus lui-même, et il est forcé de se rejeter sur quelques-uns de ceux qui le servaient. Puisqu’il a accepté les services d’hommes suspects (dans toutes les communions il y avait des suspects), Novatianus n’a plus le droit d’être sévère là où l’église est indulgente. Et il retombe ainsi, en finissant, sur la même question par laquelle il avait commencé, question brûlante qui était au fond de tous ces troubles : celle de la conduite à suivre à l’égard des Tombés. Aussi vif, aussi impérieux maintenant pour

  1. Saint-Simon eût dit qu’il n’avait pas été bombardé évêque.