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et de se licencier sur le compte de Cyprien, au sujet de qui ils avaient, disaient-ils, bien des choses fâcheuses à dire. Cyprien répond fièrement qu’il n’aurait pas fallu avoir peur de ces menaces, et qu’il n’a pas peur lui-même. Il ne s’effraie ni des injures et des calomnies, ni des voies de fait et des violences ; il est prêt à braver même l’émeute, et les bâtons et les pierres et les couteaux. Il est accoutumé à ces épreuves : n’est-ce pas hier encore qu’on criait de nouveau dans le cirque : « Cyprien au lion ? » Et repassant avec orgueil, à partir du premier jour, l’histoire de cet épiscopat si bien rempli et si troublé : « Je le dis parce que j’y suis provoqué, je le dis avec douleur, je le dis quand on m’y force, c’est de mon côté qu’est le Christ, et c’est l’ennemi du Christ (on sait ce que veut dire cette expression), qui veut désorienter le pilote pour aboutir au naufrage. »

Mais, enfin, pourquoi n’a-t-il pas fait part à l’évêque de Rome de l’usurpation de Fortunatus ? Ici vient l’excuse, mais l’excuse n’est pas moins fière que le reste. Est-ce que cela en valait la peine ? Et les faits et gestes de ces gens-là sont-ils d’une telle importance qu’il faille tout quitter pour s’en occuper ? Puis tout à coup il lance ce trait piquant à son collègue : « Je ne t’ai pas dit non plus que les partisans de Novatianus ont fait aussi chez nous leur évêque, l’ancien Maximus, qu’ils nous avaient député (pour détacher Carthage de Cornélius) ; est-ce que c’était si pressé ? » On voit d’ici la grimace que l’évêque de Rome dut faire à ce passage. Du reste, Cyprien avait écrit au sujet de Fortunatus, mais le messager s’est trouvé retardé et n’est pas arrivé à temps. Ce dernier mot semble bien prouver que Cyprien sent, après tout, le besoin de ménager Cornélius. Il donne donc cette fois toutes les explications qu’on se plaignait qu’il n’eût pas données. Fortunatus a trouvé cinq évêques pour l’ordonner, mais quels évêques ? Des hommes qui avaient été condamnés eux-mêmes, soit pour hérésie, soit pour d’autres méfaits, soit pour avoir apostasie pendant la persécution. Ils s’étaient vantés d’avoir pour eux vingt-cinq évêques de la Numidie, qui devaient venir ordonner l’évêque nouveau ; ils sont restés bien loin de compte. Le nombre des évêques consécrateurs était, comme on voit, une grande affaire dans cet état de choses, où il n’y avait pas de règle précise pour les élections. Cornélius avait eu seize évêques pour l’ordonner ; j’ai déjà dit que nous ne savons pas le nombre des évêques qui avaient ordonné Novatianus. Il est vrai qu’on lit dans Eusèbe (VI, 42) une lettre de Cornélius à un évêque d’Antioche, sur une élection qui paraît bien être celle de Novatianus, quoiqu’il y soit nommé Novatus, soit qu’Eusèbe lui-même, ou les copistes, aient confondu ces deux noms. Cornélius se plaint que