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ait été modeste ou coquette, fidèle ou volage, La Grange ne fit parler de lui; il ne fournit pas la moindre contribution à la chronique scandaleuse d’une troupe où les vertus faciles étaient en nombre; sa vie privée fut celle d’un brave homme, d’une probité et d’une fidélité bourgeoise, également attaché à sa famille et à son théâtre.

En dehors de ses services comme acteur, cet attachement à la troupe est attesté par le fameux registre qui a rendu son nom presque populaire et qui renferme sans interruption l’histoire du théâtre durant vingt-six ans, du 28 avril 1659 au 1er septembre 1685. On cite parfois ce registre comme le livre officiel des recettes et des dépenses de la troupe, tenu pour elle et en son nom. C’est une erreur : ce qu’on appelle le Registre de La Grange est un simple livre de raison, comme en avaient nos pères, c’est-à-dire un journal personnel où le propriétaire consignait ce dont il désirait fixer pour lui-même le souvenir. Livre d’un comédien ami des chiffres, celui-ci est rempli par la notation de tous les événemens qui intéressent le théâtre dont le propriétaire fait partie et sont le tissu même de sa propre existence : constitution de la troupe, son état au début de chaque année théâtrale, premières représentations, composition du spectacle de chaque jour, visites à la cour ou chez les particuliers, recettes, dépenses, aumônes, parts de chaque acteur, etc. ; il renferme, de plus, intercalée entre ces renseignemens d’intérêt général, la mention de beaucoup d’événemens personnels au seul propriétaire : maladies, mariages, décès des membres de sa famille ; parfois des réflexions sur ces divers événemens, d’ordre général ou privé. La seule chose qui soit tout à fait absente du registre, c’est la mention des événemens publics : on dirait que l’auteur, sujet respectueux dans une monarchie absolue, estime que ce ne sont point là ses affaires et qu’il y aurait même intrusion coupable à s’en occuper. Il ne fait exception que dans le cas où ces événemens ont eu leur contre-coup sur la vie du théâtre.

A lui seul, du reste, le titre du registre ne devrait laisser aucun doute sur son véritable caractère ; l’auteur a écrit sur la couverture de ce petit in-4o, recouvert de simple parchemin : Extrait des recettes et des affaires de la comédie depuis Pâques de l’année 1659, appartenant au sieur de La Grange, l’un des comédiens du roi. Ce n’est donc là qu’un résumé des grands registres du théâtre, les registres officiels ; mais pour la période la plus intéressante, celle qui va de 1658 à 1673, il en remplace pour nous la plus grande partie, car, de ces grands registres il ne reste plus que trois, deux tenus par La Thorillière, un par Hubert, et qui ne comprennent