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qui s’empresse d’accorder sa protection au poète et à son théâtre. Il meurt; le pouvoir royal continue cette tutelle à sa troupe, et elle s’augmente successivement des comédiens du Marais et de l’Hôtel de Bourgogne, qui s’empressent d’aller où pleuvent les faveurs. Par cette fusion des trois théâtres, la Comédie-Française se trouve constituée et devient une véritable institution d’état. Lorsque, après la révolution qui l’a troublée sans la détruire, elle est réorganisée par le fameux décret de Moscou, Napoléon Ier ne fait que renouer pour elle une tradition à peine interrompue. Il s’en faut, et de beaucoup, que les choses se soient passées avec cette simplicité. Par cela même qu’elle a duré, la Comédie-Française a connu bien des vicissitudes; loin de s’être faite toute seule, elle est le résultat de longs et patiens efforts. Bien plus, il est certain que ses fondateurs, Molière comme Louis XIV, La Grange comme Armande Béjart, ne soupçonnaient guère l’importance qu’elle devait prendre. C’est encore une vérité dont l’histoire offre de nombreux exemples : les institutions les plus solides ne sont pas celles qui, sorties en un jour du cerveau d’un seul homme, sont demeurées semblables à la pensée de leur fondateur. Plus souvent, au contraire, ce qui doit grandir, ne résulte d’aucune idée préconçue, a des commencemens très modestes, et reçoit toute sa force du temps, des circonstances, de beaucoup d’efforts obscurs. Ce fut le cas pour la Comédie-Française. Lorsque Molière débutait à Paris, son ambition était toute à l’œuvre présente; et lorsque Louis XIV lui accordait une salle, une pension, et l’appelait à sa cour avec une préférence marquée, il se servait, tout simplement, pour ses plaisirs et l’éclat de ses fêtes, du comédien le plus amusant de Paris. De même, lorsque, Molière mort, sa veuve et La Grange se trouvèrent à la tête de son théâtre, on peut être assuré que leurs premiers efforts eurent pour unique objet la nécessité de vivre. Assurément, en repoussant à ce moment-là un premier projet de fusion avec l’Hôtel, ils se rappelaient l’un et l’autre la guerre acharnée faite à Molière par les « grands comédiens ; » il leur répugnait de passer à l’ennemi. Mais ce n’est pas du premier jour que l’ambition de les supplanter put leur venir : elle dut naître et se développer dans leur esprit, à mesure que les circonstances purent leur suggérer ce dessein.

Après une semaine donnée au deuil, la troupe du Palais-Royal reprenait ses représentations, le 24 février 1673, et, tant bien que mal, traversait le carême. La clôture annuelle de Pâques arrive ; pendant les vacances, l’Hôtel de Bourgogne travaille la troupe, et, à la rentrée, les défections éclatent : quatre des meilleurs acteurs, Baron en tête, la quittent pour l’Hôtel. Bientôt, ceux qui restent se