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venir que du seul auteur de celui-ci, car, en 1682, il était seul à les connaître encore. Certaines phrases ou tournures de phrases se retrouvent dans l’un et dans l’autre ; des deux côtés, c’est la même discrétion, la même habitude morale, qui révèlent un honnête homme et un homme de cœur. Cette préface dit tout ce qu’il importait alors de savoir sur Molière, la vaine curiosité mise à part ; en même temps, elle tait ce qui ne regarde pas le public, avec un parti-pris assez remarquable pour que Bazin ait pu écrire, ici même, il y a près de quarante ans : « Là, et presque nulle part ailleurs, se trouvent encore aujourd’hui les seuls renseignemens que l’on puisse accepter, les seuls, et cette conjecture est sérieuse, que Molière ait voulu laisser au public. » Enfin, elle respire une indépendance d’esprit et une sûreté de jugement bien rares, de tout temps, chez ceux qui ont parlé de Molière. L’admiration y est sincère et profonde ; elle y inspire, du grand comique, un portrait achevé, complet et sobre. Mais aucun excès dans l’éloge, de justes réserves même; on y avoue « que toutes ses pièces n’ont pas d’égales beautés, » et on l’explique par la nécessité où il était « d’assujettir son génie à des sujets qu’on lui prescrivoit et de travailler avec une grande précipitation ; » on reconnaît que ses dénoûmens sont faibles, mais on a commencé par dire que, « dans ses moindres pièces, il y a des traits qui n’ont pu partir que de la main d’un grand maître, » et que « le Misanthrope, le Tartufe et les Femmes savantes sont des chefs-d’œuvre qu’on ne sauroit assez admirer. » La vraie critique de la postérité ne parle pas autrement.

Pour le texte, il n’est pas malaisé de voir qu’il a été établi avec de grands soins, malgré les fautes d’impression qui le déparent. Mais, au XVIIe siècle, on n’avait pas toujours les imprimeurs que l’on voulait ; les auteurs les plus soigneux ne pouvaient les empêcher de faire à leur tête, Corneille, par exemple, très attentif aux questions d’orthographe, très soucieux de la correction, et qui se plaint avec amertume de l’indocilité des siens. Les manuscrits de Molière sous les yeux, les éditeurs firent disparaître les altérations de tout genre que les œuvres imprimées avaient subies ; ainsi pour le Malade imaginaire, qu’ils disent expressément « corrigé, sur l’original de l’auteur, de toutes les fausses additions et suppositions de scènes faites dans les éditions précédentes. » Grâce à l’expérience de La Grange, ils y joignirent de nombreuses indications scéniques, qui sont encore d’un grand secours, pour la lecture comme pour la représentation. Il y a donc d’assez nombreuses différences entre les éditions originales et celle de 1682 ; mais, quoi qu’on ait pu dire, ces différences sont presque toujours à l’avantage de Molière. Sans doute, l’une ne dispense pas de recourir aux autres,