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marches de Bugeaud à la poursuite d’Abd-el-Kader : une région sablonneuse, des eaux malsaines, un sol brûlant, un ciel de feu éprouvaient nos colonnes. La guerre qu’il fallait faire à l’insaisissable ennemi, c’était donc surtout sa guerre à lui, une guerre de razzia. Il fallait démontrer à ces Maures, pour qui elle était une industrie, que cette industrie désormais ne serait plus lucrative. En faisant le compte de leurs profits et pertes, en mettant en regard le nombre des moutons, des bœufs et des ânes pris à nos alliés et celui des bêtes qu’on leur prenait, ils devaient acquérir la conviction que la balance n’était pas à leur avantage. Ajoutant aux pertes de bétail celles qui résultaient de la cessation des échanges, ces intelligens négocians, ces fins négriers, ces avisés bandits ne pouvaient manquer d’en tirer une conclusion. Le nombre des leurs qui, en mourant de la mort des braves sous les balles de nos carabines, se trouvaient avoir déshonora leur famille, achevait brillamment la démonstration. Enfin, la construction des forts de Saldé et de Matam, dans l’intervalle compris entre Podor et Bakel, faisait du fleuve une barrière presque infranchissable pour eux.

Aussi, à la date du 1er novembre 1855, du 20 mai, du 10 juin 1858, trouvons-nous, dans l’appendice des Annales sénégalaises, trois traités conclus successivement avec le roi des Douaïchs, le roi des Trarzas, le roi des Braknas. Ces trois traités sont à peu près ideptiques dans leur teneur :

« Considérant qu’il est juste que les cheïcks des nations maures... tirent un revenu du commerce de la Comme, produit des forêts de leur pays, récolté et apporté par leurs sujets,.. » le gouvernement français consent à ce qu’un droit soit perçu à leur profit sur le lieu d’échange. Seulement, pour que ce droit ne puisse donner naissance aux abus d’autrefois, il devra être perçu, dans nos propres comptoirs, par des agens que désigneront les princes maures, mais surveillés par nous. Les rois de la rive droite renoncent à toute autre perception, sous quelque nom et sous quelque prétexte qu’elle puisse se produire. Ils s’engagent à protéger les sujets français, qui, sans armes, iront trafiquer chez eux ; ils défendront à leurs sujets de pénétrer en armes sur notre territoire. Ceux-ci seront traités dans les pays de notre obéissance comme les sujets français au pays maure.

Le roi des Trarzas reconnaissait formellement notre protectorat sur le Oualo, le Dimar, le Cayor et autres états de la rive gauche et s’interdisait de jamais intervenir dans leurs affaires.

Les Maures profitèrent si bien de la leçon que, depuis ces traités, pas une seule fois la paix n’a été troublée. Ce fut une paix profonde, ainsi que la caractérisent les documens ultérieurs. Une vingtaine