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tête d’un de ses ouvrages, d’avoir également celui de Mme Gottsched, auteur aussi de plusieurs livres. Il en avait lu un et il en avait remporté la conviction que personne n’était digne d’être uni à une pareille femme, excepté Gottsched lui-même. Grimm termine en se plaignant de nouveau de l’état de la librairie dans la ville qu’il habite. Il a vu dans les journaux l’annonce du Théâtre allemand selon les règles des anciens Grecs et Romains, recueil de pièces dramatiques de divers auteurs, dont Gottsched avait commencé la publication l’année précédente ; il a chargé son libraire de lui rapporter cet ouvrage de la foire de Leipzig, et il l’attend avec une impatience qu’il ne saurait décrire, mais il craint que ce ne soit en vain. Cet homme ne lui avait-il pas promis les Essais critiques depuis plus d’un an, et il ne les a pas encore reçus : « Telle est, dit-il, la difficulté d’avoir de bons livres à Ratisbonne ! »

La candeur juvénile de cette lettre n’aurait pas suffi pour me la faire citer, mais à part le coup d’œil qu’elle nous permet de jeter sur la condition des lettres en Allemagne au milieu du siècle dernier, il semble qu’on y saisisse déjà deux des traits du caractère de Grimm tel que nous le verrons se dessiner plus tard : la curiosité de l’esprit et le manque de mesure et de finesse dans la flatterie, — à moins pourtant que la finesse en ce genre soit précisément de n’y pas mettre de mesure. Grimm était né courtisan. Précoce et utile savoir-faire! N’oublions pas qu’il se trouva de bonne heure dans une position de dépendance et presque de domesticité. Les fils du pasteur de Ratisbonne avaient besoin de protecteurs. La lettre que je viens de citer a ceci de curieux qu’elle nous montre le frère aîné remplissant précisément les offices dans lesquels Melchior devait lui-même débuter. Il sert de compagnon de voyage à l’un, il est attaché à la maison de l’autre. Nous allons bientôt voir notre Grimm hofmeister à son tour et, qui plus est, dans la même famille. Ratisbonne était, depuis quatre-vingts ans, le siège des diètes de l’empire; le baron, plus tard comte de Schœnberg, qui représentait la Saxe électorale à la diète, y résidait. Protestant lui-même, il y avait fait la connaissance du superintendant ecclésiastique et s’était intéressé au sort de ses enfans. Ainsi que nous venons de le lire, il avait pris l’aîné à son service et l’avait emmené à Francfort. Le second, le nôtre, achevait pendant ce temps ses études au gymnase, où il avait pour camarade et ami l’un des fils du comte. Ces Schœnberg ou Schomberg, comme on les appelait chez nous, étaient, j’imagine, de la même souche que les Schomberg de Misnie qui s’étaient établis en France dès le XVIe siècle et qui nous ont donné trois maréchaux, celui, entre autres, qui épousa Marie de Hautefort, l’amie de Louis XIII et l’ennemie de Richelieu. Jean-Frédéric