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musique de Pergolèse ; ce sera une révélation, le temps des signes et des miracles ; le philosophe, pour entendre ces chants merveilleux, bien qu’exécutés par une troupe de rencontre, le philosophe quittera son cabinet, le géomètre ses calculs, l’astronome son télescope, le chimiste sa cornue. Mais cela durera-t-il? Et le mauvais goût, les préjugés ne reprendront-ils pas le dessus ? Dans tous les cas ce sera le dernier avertissement, et si la nation n’y prête l’oreille, elle sera livrée à l’impénitence finale; son Opéra sera fermé ou deviendra un jeu de paume. « Et je me souviendrai, dit la voix, de toutes tes lâchetés, depuis le jour où tu sifflas le Misanthrope ; et je t’ôterai le théâtre de la Comédie-Française et je l’établirai chez les nations étrangères; et l’on admirera, sous l’astre de l’Ourse, les génies que je t’ai donnés, et toi seul tu ne les entendras plus ; et la farce deviendra ton spectacle favori et tu le trouveras délicieux ; et l’indécence et la platitude des propos ne te chagrineront plus ; et l’on outragera les mœurs chez toi impunément, car tu n’en auras plus et tu ne sentiras plus ni ce qui est bien, ni ce qui est mal; et tes philosophes ne t’éclaireront plus et je les empêcherai d’écrire. »

Le Petit Prophète, on le voit, conserve de son intérêt. La forme en a vieilli, à supposer qu’elle ait jamais été bien piquante, mais on y distingue, sur l’état des lettres et des arts au siècle passé, des vues qui étaient propres à Grimm, qui reviendront souvent dans la Correspondance, et qui pénétraient si droit dans notre caractère national qu’elles n’ont en vérité rien perdu de leur justesse. Quoi qu’il en soit et quelque sévère qu’elle fût, la satire de Grimm eut une vogue extraordinaire. Il en écrit à Gottsched après la publication. « Je n’ose presque pas vous envoyer le Petit Prophète de Bœmischbroda ; on en a fait une édition chez vous! Il est affreux que vous l’ayez reçu autrement que de ma main. Je vous l’envoie pourtant, avec une comédie de M. Rousseau dont la préface a fait beaucoup de bruit. Le Prophète a eu un succès prodigieux à Paris ; on en a fait trois éditions en moins d’un mois ; je vous envoie la véritable, faite sous les yeux de l’auteur. Pour bien entendre cette brochure, il faudrait être au fait de mille petites circonstances qu’on ne saurait expliquer aux étrangers, et qui font le sel de la plaisanterie... Je vous envoie les Trois Chapitres, suite du Petit Prophète ; vous devriez les imprimer en Saxe, de même que le Prophète, d’autant plus que cela est extrêmement rare ici. Le Devin du village est un intermède charmant dont les paroles et la musique sont de M. Rousseau. »

La comédie de Rousseau dont la préface avait fait du bruit est Narcisse, qui avait paru au commencement de l’année, et dont l’auteur