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manteaux de deuil, en pleureuses, en cheveux épars, en chapeaux rabattus et garnis de longs crêpes ; de garder un profond silence convenable à notre triste situation, et de nous borner à nous saluer réciproquement de la manière la plus lugubre et avec des révérences aussi allongées que nos visages. Le projet de rendre les derniers devoirs aux malheureux objets de notre passion fut rejeté, de peur que tout le convoi funèbre ne fût prié d’aller achever les obsèques à la paroisse de la Bastille. »

Le congé donné aux Italiens n’était pas fait pour calmer les ressentimens de Grimm contre la musique française. Il venait justement de commencer sa chronique manuscrite adressée à des cours étrangères, et il profitait de la liberté dont il y jouissait pour dire sans réserve sa pensée sur ce sujet comme sur beaucoup d’autres. Adieu les ménagemens dont, jusque dans le Petit Prophète, il avait cru devoir envelopper ses critiques. L’opéra devient « le spectacle le plus froid, le plus puéril et le plus gothique qu’il y ait actuellement sur la terre ; et vous espérez que ces gens-là se connaissent jamais en musique ! Jamais, jamais, cela est sans ressource. » L’insipide et plat Lulli, — le révérend père Lulli, comme il est encore appelé, — est l’auteur de « cette sacrée psalmodie dont nos aïeux nous ont transmis l’habitude de nous extasier. » Grimm n’avait garde autrefois de refuser le génie à Rameau, aujourd’hui il traite ses ouvrages théoriques de radotage et ses partitions de pires que le galimatias de M. de Cahusac. Grimm réserve tous ses éloges pour les ouvrages de Duni, sans s’apercevoir du démenti qu’il donne par là à plusieurs des idées dont il s’était fait le champion, et, à ce qu’il paraît, sans comprendre lui-même toute l’étrangeté de la révolution musicale dont il était le témoin.

Les Bouffes avaient dégoûté de l’opéra, et le renvoi de la troupe étrangère ne ramena pas les amateurs à l’Académie royale de musique. On chercha, au contraire, à se dédommager du départ des Italiens en imitant le genre qu’ils avaient fait connaître. On s’y prit de deux manières à la fois. D’abord en adoptant l’intermède, c’est-à-dire la pièce bouffe où tout se chantait. On en avait déjà un exemple dans le Devin du village; la traduction de la Serva padrona de Pergolèse fut un autre pas dans la même voie : « Tout Paris, selon Grimm, y courut avec une espèce d’enthousiasme. » Mais ce qui remplaça véritablement pour les Parisiens le spectacle dont ils avaient été privés par ordre supérieur, ce fut l’opéra comique. On désignait par ce nom la comédie à ariettes, la pièce en prose entremêlée de chants, un genre de représentations qui ne se donnait qu’aux époques des foires, à la Saint-Germain et à la Saint-Laurent, et sans qu’un local permanent y fût affecté. De là le nom de théâtre