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avait cessé d’être payé. De nouveau, le palais de Mitau lui était ouvert[1]. Le tsar s’engageait en outre à intéresser à son sort les familles souveraines d’Europe. Enfin, le comte Panin insinua qu’il ne serait pas impossible d’obtenir du gouvernement français un subside régulier qui mettrait le roi à l’abri de tout souci dans le présent comme dans l’avenir. Pour justifier et alimenter ce subside, il y avait, à ce que pensait le gouvernement moscovite, une cause légitime, les biens héréditaires du roi, confisqués au profit de la nation. Cette opinion reposait sur une erreur. Louis XVIII dut objecter au duc de Serra-Capriola que tous les biens du roi de France, sous la loi de l’ancienne monarchie, étaient domaines de la couronne : « Ceux même qu’il possédait patrimonialement avant son avènement acquièrent cet indélébile caractère à l’instant de la mort de son prédécesseur. D’ailleurs, il serait impossible que je ne parusse pas de près ou de loin dans un pacte de cette nature, et vous sentez que rien au monde ne peut me faire transiger sur ma couronne. Si les puissances engageaient celui qui l’a usurpée à leur assurer un subside qu’elles me transmettraient ensuite, le cas serait différent. Je puis tout recevoir d’elles, rien de lui. Votre âme est trop élevée pour ne pas partager cette manière de voir et surtout de sentir. » Après cette réponse, l’idée parut abandonnée; mais Alexandre n’y renonça pas, convaincu que Bonaparte devait une indemnité aux Bourbons.

En attendant d’y revenir, il fit expédier une lettre circulaire à ses représentans à Vienne, Londres, Berlin et Naples, leur enjoignant de demander à la cour auprès de laquelle chacun d’eux était accrédité une pension annuelle pour « M. le comte de Lille. » La correspondance directe entre la Russie et l’Espagne n’étant pas encore rétablie, l’ambassadeur russe à Paris reçut l’ordre de communiquer la circulaire à son collègue espagnol. Enfin, lui-même fut autorisé à entretenir verbalement Talleyrand de la question qui préoccupait le tsar et que ce prince cherchait à résoudre conformément à la générosité de son cœur[2].

  1. Le roi ne voulut plus retourner en Russie. En remerciant Alexandre de sa bienveillance, il disait : « Toutes les considérations du monde doivent céder au devoir, et le mien, jusqu’à ce qu’il plaise à la Providence de terminer les malheurs de la France et les agitations de l’Europe, est de me tenir le plus à portée qu’il est possible de profiter des circonstances qui peuvent amener cet heureux dénoûment. » (11 juillet 1802.)
  2. Voici le texte de la lettre que le tsar fit adresser à ses ambassadeurs :
    « La situation à laquelle se trouve réduit M. le comte de Lille (Louis XVIII) à une époque où la tranquillité publique, après tant d’orages, n’a pu être rétablie qu’aux dépens des droits de sa naissance ne peut être indifférente à tous les souverains de l’Europe. Déchu du milieu d’eux par l’enchaînement des circonstances, il est de leur dignité de ne pas le laisser en peine et toute sa famille dans un abandon qui les expose à éprouver le besoin le plus pressant. Tel serait cependant le sort infailliblement réservé à cette malheureuse famille si par des mesures de bienveillance les souverains ne s’empressent de venir à son secours.
    « Ceux qui lui ont été donnés par feu l’empereur, ceux que lui a fait tenir tout récemment encore Sa Majesté Impériale ont pu suffire jusqu’ici à ses besoins. Mais quelque sensible que soit notre auguste maître à la situation de ce prince, quelque porté qu’il soit à l’adoucir, il ne peut supporter la charge trop onéreuse de fournir seul à cette dépense. Il croit que les autres souverains voudront la partager, et c’est dans le dessein de les engager à assurer à ce prince par une contribution volontaire des moyens d’existence qui le mettent hors de l’atteinte du besoin, que l’empereur s’adresse aujourd’hui à quelques cours, plaçant une pleine confiance dans leurs sentimens et leur générosité. »