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lui, il aimait les Bourbons. Sa réponse fut telle que leur héritier pouvait l’attendre. Mais les craintes un moment conçues par Louis XVIII ne s’étant pas réalisées, il ne profita pas sur l’heure des bienveillantes dispositions de Gustave IV et demeura à Varsovie.


II.

Au cours de ces événemens, deux années s’étaient écoulées. La vie de l’exilé restait paisible en apparence. L’observateur secret que la police de Fouché entretenait à Varsovie ne signalait aucun incident[1]. Le prétendant semblait résigné à son sort. « Les intentions qu’on lui prête de reprendre son titre sont fausses. » Il menait la vie la plus retirée, la plus uniforme. Il passait l’hiver dans le faubourg de Cracovie, où la sœur du dernier roi de Pologne, fixée elle-même à Vienne, l’avait autorisé à s’installer dans son ancienne demeure; en été, il habitait le palais de Lazienski, mis à sa disposition par le roi de Prusse. Il sortait rarement. Lorsque cela lui arrivait, et qu’il allait visiter les châtelains des environs, les Radziwill, les Czartoryski, les Potocki, auprès desquels il trouvait des égards dignes de sa naissance et de ses malheurs, c’était toujours avec l’extérieur le plus simple, sans décorations, presque sans suite. L’observateur racontait, il est vrai, qu’il se dédommageait de cette contrainte dans son intérieur, où il se laissait traiter en roi. « Les deux gardes du corps qui ont suivi son frère à Varennes ne le quittent pas. Le public leur conserve leur ancien titre, quoiqu’ils soient sans uniforme. Monsieur et Madame d’Angoulême forment sa société la plus intime. Cette dernière est très aimée dans la ville, où elle répand d’abondantes aumônes. Quant à l’emploi du temps, on prétend que le comte travaille tous les matins une heure ou deux avec ses ministres, — c’est l’expression générale, — et que le reste de la journée est partagé entre les exercices de dévotion, la lecture et la table, à laquelle il apporte généralement les plus heureuses dispositions. »

  1. Cet observateur arriva à Varsovie au mois d’octobre 1802. Ses instructions disaient : « Son premier soin, en se faisant connaître comme homme de lettres, négociant, voyageur ou sous tout autre rapport qui puisse attirer la confiance, sera de se former des connaissances utiles, de se lier avec les personnes qui, par leur position et leurs rapports, pourront le plus utilement servir au succès de ses observations. C’est ainsi par exemple qu’il obtiendra sur l’intérieur de la maison du comte de Lille les notions détaillées et étendues qu’il devra transmettre à Paris. Le citoyen Gallon-Boyer nous fera connaître la composition du cortège qui entoure ce prince. Il rapportera les petites intrigues qui l’agitent, l’espérance qu’on y entretient, les projets que l’on y forme et les inquiétudes qui détruisent ou changent les unes et les autres. Il parlera des voyageurs qui pourront y être conduits et de l’accueil qu’ils y recevront. »