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les ordres qu’elle a bien voulu donner l’année passée à son gouverneur de Stralsund. Mais je la supplie en même temps d’ordonner à ce gouverneur, et à tous autres, d’observer un secret sans lequel l’exécution de mon plan deviendrait peut-être problématique. »

La réponse du roi de Suède à cette lettre ne se fit pas attendre. Elle arriva au comte de Lille par l’intermédiaire du ministre suédois à Berlin. Gustave IV ne refusait pas de se prêter au désir de Louis XVIII. Mais, dans son propre intérêt, il lui conseillait de s’assurer d’abord si l’empereur de Russie ne considérerait pas comme avantageux aux Bourbons et à lui-même que leur réunion eût lieu dans ses états. Ce conseil fournissait au comte de Lille une occasion nouvelle de mettre à l’épreuve la bonne volonté d’Alexandre. Il allait donc s’y conformer, quand arriva à Varsovie une nouvelle aussi douloureuse qu’imprévue. Durant la nuit du 20 au 21 mars, le duc d’Enghien, arrêté sur les bords du Rhin et conduit à Paris, avait été fusillé dans les fossés du château de Vincennes. La famille royale n’était pas encore revenue de la stupeur causée par ce tragique événement qu’il s’en produisait un second d’un autre caractère, mais d’une égale gravité. Bonaparte venait d’être proclamé empereur.

Maintenant, la réunion de famille projetée tirait de ces faits sa raison d’être. Louis XVIII n’hésita plus à la réaliser. Il engagea son frère et les autres princes de sa maison à se rendre à Calmar, en Suède, et à s’y trouver au mois de septembre. C’est là qu’ils devaient l’attendre, si le tsar refusait de prêter le territoire russe à leur réunion. Dans le cas contraire, ils devaient se rendre à Riga, où il arriverait avant eux pour les recevoir. Le 25 juin, après avoir protesté auprès de toutes les cours contre l’acte usurpateur de Bonaparte, il faisait connaître ses projets à l’empereur de Russie. « Si Votre Majesté impériale daignait l’approuver, écrivait-il ; cette réunion si désirable, et qui ne doit être que momentanée, aurait lieu dans ses propres états, soit à Vilna, soit dans toute autre ville qu’il plairait à Votre Majesté impériale de me désigner. Parmi les motifs sans nombre qui me feraient préférer ce parti, il est une considération qui ne peut manquer de toucher l’âme sensible de Votre Majesté impériale. Depuis son enfance, ma nièce n’a point vu son beau-père ; depuis son mariage, je cherche vainement l’occasion de la lui présenter; je voudrais lui épargner les fatigues d’un long voyage et d’un double trajet de mer. Si, malgré cette puissante considération, Votre Majesté impériale pensait que je dusse plutôt passer moi-même en Suède, je la supplierais de me donner un bâtiment qui de ses côtes pût m’y transporter. En attendant, et