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seront inutiles et ne pourront que donner des armes à vos ennemis. Je ne saurais donc y adhérer, et l’offre faite précédemment d’un asile en Russie est sous la condition expresse qu’aucune démarche semblable n’aurait lieu. »

Après diverses remises, le départ du comte de Lille avait été fixé définitivement au 25 juillet. Au moment de partir, un accident l’obligea à le retarder de nouveau[1]. C’est le 30 seulement qu’il put se mettre en route. Il ignorait encore quelle suite serait donnée aux demandes qu’il avait adressées au tsar ; il ignorait de même si ses parens pourraient venir le rejoindre. Après avoir fait ses adieux à sa femme et à sa nièce, il se dirigea vers Grodno. Il voyageait sous le nom de comte de Lille, et le duc d’Angoulême sous le nom de comte de Châtellerault. Il était accompagné du cardinal de Montmorency, du comte d’Avaray, du duc de Piennes, du comte de Blacas, du marquis de Vassé, d’un médecin, d’un chapelain et de trois domestiques. Le 8 août, il arrivait à Grodno, sur le territoire russe, où l’attendait la lettre de l’empereur Alexandre. C’était, comme on vient de le voir, une désapprobation formelle de sa conduite. Il ne pouvait même compter sur une frégate russe pour le transporter de Riga à Calmar. Il ne lui restait donc qu’à profiter des offres de Gustave IV. Il lui annonça son arrivée prochaine à Calmar. « Je dirai à Votre Majesté, et lui en demande le secret, qu’en m’environnant de mes parens, mon intention est de conférer avec eux sur le nouvel acte que je prépare et que je veux adresser à mon peuple. Sans doute, il eût été bien satisfaisant pour moi de placer les trois fleurs de lis à l’abri des trois couronnes. Mais je n’abuserai point de la généreuse amitié de Votre Majesté. La compromettre serait pour moi un malheur et une source de regrets éternels. Je lui donne donc ma parole d’honneur que rien ne sera daté ni publié de ses états. »

Cette lettre écrite, la nécessité de s’assurer le moyen de traverser la Baltique condamna le comte de Lille et ses compagnons à une longue attente. Pendant quinze jours, réfugiés en Courlande, sur la frontière de Lithuanie, au château de Blankenfeld, dont le propriétaire, M. de Konigsfels, leur avait offert une hospitalité plus confortable que celle des auberges de Grodno[2], ils attendirent

  1. Après avoir mangé un plat de carottes, il fut violemment indisposé. Il crut toujours avoir été, dans cette circonstance, victime d’une tentative d’empoisonnement. Une instruction fut même ouverte à sa requête. Nos recherches n’ont pu nous faire découvrir la vérité, pas plus que ne le put la découvrir le magistrat-instructeur, dont il suspecta d’ailleurs la bonne volonté.
  2. Louis XVIII n’oublia jamais le service que lui avait rendu M. de Konigsfels. Sous la restauration, ce gentilhomme fut nommé officier de la Légion d’honneur et reçut du roi de France pour lui et ses descendans le titre de comte.