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Suède et de rester à Calmar. Mais il recula devant la nécessité d’exposer la reine et la duchesse d’Angoulême aux fatigues d’une longue traversée. D’autre part, il avait sollicité de l’empereur Alexandre un asile dont il se croyait assuré, et la Russie lui offrait un refuge moins exposé aux coups de la fortune que celui qu’il pouvait trouver dans les états de Gustave IV. Il ne changea donc rien à ses projets et s’éloigna de Calmar sans rien regretter des événemens qui venaient de s’accomplir.

Cette seconde traversée ne fut ni moins longue ni moins orageuse que la première. Louis XVIII n’arriva à Riga que dans les premiers jours de novembre. En y débarquant, il apprit d’abord que le tsar consentait à le recevoir en Russie, puis qu’il lui assignait comme résidence, non pas Mitau, mais Kiew. Ce fut une déception qui succéda à son premier contentement. A Mitau, il avait goûté les seules joies que l’exil lui eût jamais données. Il connaissait cette ville ; il comptait en Courlande de nombreux amis. Kiew, au contraire, c’était encore l’inconnu ; le froid y sévissait plus durement qu’à Mitau. Il résolut d’insister auprès du tsar pour que ses désirs fussent réalisés. Tandis qu’il envoyait, à cet effet, Blacas à Saint-Pétersbourg, il alla s’installer de nouveau chez M. de Konigsfels, où d’Avaray et le cardinal de Montmorency attendaient son retour.

Alexandre n’était pas animé de mauvais sentimens contre le roi proscrit ; mais il aurait voulu que ce prince s’abstînt de faire acte de prétendant et se résignât à son sort. Il était disposé à venir en aide au comte de Lille, mais non à favoriser les vues du roi de France. On voit se révéler ces sentimens dans une lettre que le prince Czartoryski écrivait le 8 octobre à M. d’Alopeus, ministre russe à Berlin, pour l’informer de ce qui s’était passé entre la Russie et le comte de Lille. « L’empereur n’a pas répondu à sa seconde lettre. Il lui a refusé un vaisseau de guerre pour le transporter à Calmar. L’empereur n’a pas voulu se prêter à un projet qu’il désapprouvait et qui était inutile. Il ne doute pas que sa conduite n’obtienne l’assentiment de Sa Majesté prussienne. » A travers les lignes il est aisé de discerner les mobiles qui guidaient le tsar lorsqu’il se prêtait à laisser Louis XVIII rentrer en Russie. C’était à la fois un acte d’indépendance, presque d’hostilité, vis à-vis du gouvernement français ; mais c’était aussi le plus sûr moyen de tenir le prétendant, de l’empêcher de créer des embarras à la politique générale[1]. En l’exilant à Kiew, il cherchait à l’éloigner du théâtre

  1. L’extrait suivant d’une lettre du comte d’Artois tendrait à prouver qu’il avait deviné les mobiles du tsar : « Dans de telles circonstances, vous sentez facilement, mon cher frère, qu’il est important, j’ajoute même nécessaire que vous prolongiez votre séjour à Mitau. Les motifs naturels, en outre, ne vous manqueront pas sûrement pour multiplier les délais, et le caractère de l’empereur Alexandre ne peut vous faire craindre, les mêmes procédés que vous avez éprouvés il y a quatre ans. Je suis même fort tenté de croire que plus nous irons en avant vers le mois de mai, moins on cherchera à vous éloigner. » (26 février 1805.)