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Français, il est temps de les convaincre, et voilà pourquoi j’attache tant d’importance à cette déclaration. »

Jamais Louis XVIII n’avait affirmé ses idées plus nettement, ni avec tant de force. Il ne parvint pas cependant à modifier la conviction d’Alexandre, non plus qu’à vaincre la répugnance de ce prince à intervenir dans les affaires intérieures de la France. Ces pourparlers durèrent dix mois et aboutirent à une proclamation nouvelle, en date du 21 octobre 1805, qui eut le même sort que la précédente et ne put franchir la frontière française. L’Europe était en feu. Les victoires de Napoléon ébranlaient les trônes, stérilisaient les efforts de la troisième coalition ; les incessantes réclamations du prince proscrit se perdaient dans le formidable bruit des batailles.

Il s’épuisait cependant à vouloir se faire entendre, importunait les cours, et, loin de renoncer à conspirer, rêvait d’une expédition sur les côtes de France, à la tête de laquelle il marcherait. Tant d’efforts pour réaliser des espérances aussitôt avortées que conçues n’enlevaient rien à la tristesse de la vie qu’on menait alors à Mitau. Ce second séjour dans la capitale de la Courlande ne ressemblait guère au premier. La maison royale, réduite au strict nécessaire, un seul secrétaire au lieu de sept ou huit, les relations avec les cabinets européens de plus en plus rares, le roi sans nouvelles de ses agens, ses lettres saisies par la police de Fouché, Mitau séparé peu à peu du reste du monde, tandis que là-bas la gloire de Napoléon s’élevait lumineuse et sanglante, voilà où en était, en 1805, l’héritier des Bourbons. Successivement, il apprenait la déroute des Autrichiens et des Russes à Austerlitz, l’écrasement des Prussiens à Iéna, l’entrée de Napoléon à Vienne d’abord, à Berlin ensuite ; il ne se décourageait pas cependant ; ce fut sa force dans ce long exil de ne pas perdre espoir un seul jour.

A la fin de 1806, sur les confins de la Pologne, l’armée russe, réunie aux débris de l’armée prussienne, était en ligne sous les ordres du général de Benningsen, attendant, comme les Français, sur une réserve troublée par de fréquens combats, la fin d’une saison peu propice aux opérations militaires. Il semble bien qu’à ce moment l’empereur Alexandre ait pensé qu’on pourrait tirer parti de Louis XVIII et de ses projets. Il est vrai que le prétendant ne négligeait aucune occasion de se rappeler à son souvenir. Après la bataille de Pultusk, le 26 décembre, le général de Benningsen, s’étant attribué la victoire, en avait fait porter la nouvelle à Saint-Pétersbourg, où Louis XVIII s’était empressé d’envoyer ses félicitations. Il en fut de même après la bataille d’Eylau, survenue le 8 février 1807 : « Je ne parlerai point, ajoutait le roi à