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à ses ministres et aux agens supérieurs de l’administration une docilité absolue, mais il fermait l’oreille à toutes les plaintes que l’on pouvait porter contre eux et n’avait aucun égard aux attaques dont ils pouvaient être l’objet de la part de la presse. Quand on avait réussi à capter sa confiance, on la possédait entièrement et l’on pouvait défier toute critique et toute inimitié. Malheureusement la confiance de Grant n’était pas toujours bien placée : il accueillait trop facilement les recommandations des meneurs du parti républicain, auxquels il croyait avoir des obligations parce qu’ils le défendaient dans les chambres du congrès. Peu à peu, le favoritisme et la corruption avaient pénétré dans son entourage personnel, envahi la haute administration et gagné de proche en proche jusqu’au dernier échelon de la hiérarchie, et il était le seul à ne pas s’en apercevoir. On fraudait impunément le trésor, à la seule condition d’avoir des amis influens ou de partager avec de hauts fonctionnaires. Le scandale était trop grand pour qu’un éclat ne fût pas inévitable. Sur une dénonciation trop précise et trop circonstanciée pour qu’il fût possible de n’en pas tenir compte, le ministre des finances, M. Bristow, qui était un honnête homme, prit des mesures immédiates et, le 10 mai 1875, des perquisitions furent opérées dans trente-deux distilleries et fabriques de liqueurs : elles fournirent la preuve de fraudes considérables, commises depuis plusieurs années. Les poursuites qui en résultèrent amenèrent la condamnation à la prison d’un contrôleur, d’un inspecteur-général et d’un des directeurs du ministère des finances ; le propre secrétaire du président, le général Babcock, fut impliqué dans les poursuites et n’échappa qu’à grand’ peine à une condamnation. Ces procès eurent un retentissement énorme : les chefs du parti républicain, effrayés de l’effet qu’ils produisaient et du préjudice qui en résultait pour leur parti, n’hésitèrent pas à accuser M. Bristow de faire du zèle et d’exagérer le mal afin de se créer un titre à la faveur publique et de se frayer le chemin de la présidence. Grant, qui, lors de la première découverte, avait témoigné une indignation sincère et avait dit à ses ministres de poursuivre vigoureusement cette affaire et de ne laisser échapper aucun coupable, finit par prêter l’oreille à ces récriminations ; ses manières à l’égard de M. Bristow changèrent si complètement que celui-ci crut devoir donner sa démission. On n’était pas au bout des scandales : le ministre de la guerre, le général Belknap, fut traduit devant le sénat sous la prévention d’avoir accepté un pot-de-vin d’un des fournisseurs de l’état. Les faits furent établis, mais le général échappa parce que la majorité pour la condamnation n’atteignit pas les deux tiers des voix : plusieurs des sénateurs républicains et, dans le nombre, un ami personnel du président, M. Conkling, s’excusèrent de donner un vote négatif par une subtilité de procédure;