Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/852

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ils prétendirent que le général, étant démissionnaire, aurait dû être traduit devant la justice ordinaire et non devant le sénat. De graves imputations furent élevées également contre le ministre de la marine ; mais elles n’aboutirent à une poursuite que sous l’administration suivante.

Ces procès, qui jetaient un jour si douloureux sur la corruption déplorable dans laquelle étaient tombés la plupart des services publics, renversèrent les espérances de ceux qui rêvaient pour Grant une troisième élection à la présidence. Ces amis trop zélés avaient commencé à préparer les voies, et ils l’avaient fait assez ouvertement pour que la presse de l’opposition prît l’alarme et criât au césarisme. Tant que le projet ne fut combattu que par ses adversaires politiques, Grant garda un silence obstiné; mais une convention de républicains, réunie à Philadelphie pour désigner des candidats aux principales magistratures de la Pensylvanie, ayant voté un manifeste dans lequel elle comblait d’éloges l’administration du président, mais se déclarait « invinciblement opposée à l’élection de qui que ce soit à une troisième présidence, » il se crut obligé de parler. Il le fit de la façon la plus entortillée et la plus ambiguë dans une lettre adressée au président de cette convention de Philadelphie. Il affirmait n’avoir point cherché une seconde élection, pas plus qu’il n’avait fait pour la première : celle-ci lui avait imposé le sacrifice de fonctions qui lui plaisaient et qu’il aurait voulu conserver jusqu’à l’âge de la retraite; la seconde ne lui avait fait plaisir que parce qu’elle l’avait vengé des insultes et des calomnies dont il avait été poursuivi pendant quatre années. Après ce long préambule, il arrivait à la question, mais pour l’éluder. « Quant à une troisième présidence, disait-il, je ne la demande pas plus que je n’ai fait la première. Je ne voudrais ni écrire ni articuler un seul mot pour influencer la volonté du peuple dans la formation ou dans l’expression de son choix. La question du nombre des termes accordés à un chef quelconque du pouvoir exécutif ne peut être convenablement soulevée que sous la forme d’un amendement à la constitution, que tous les partis politiques ont le droit de proposer et qui fixerait pour combien d’années ou quel nombre de fois un citoyen quelconque pourrait être élu président. Jusqu’à ce qu’un amendement semblable ait été adopté, le peuple ne peut être limité dans la liberté de son choix par une simple résolution plus qu’il ne l’est quant à l’âge, au lieu de naissance, etc., d’un candidat. Il peut arriver dans l’avenir que la nécessité de changer un chef du pouvoir exécutif, parce qu’il aura été en fonctions pendant huit années, ait des conséquences regrettables, sinon désastreuses. L’idée qu’un homme peut s’élire lui-même président, s’offrir à lui-même la candidature, est inadmissible. C’est faire injure à l’intelligence et au patriotisme du