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de ses jours, annonçant qu’après la mort de son ami il en ferait don à la nation. Ce combat de générosité émut le public, et un retour marqué d’opinion se produisit en faveur de Grant.

Celui-ci se demandait avec anxiété ce qu’il pourrait faire pour assurer l’avenir de sa femme et de ses enfans. Pour lui-même, il n’était pas inquiet : ses amis du congrès étaient déterminés à renouveler la proposition de lui rendre le titre et le traitement de général; le président Arthur avait promis tout son appui, et le succès, cette fois, était assuré ; mais que deviendrait après lui la compagne dévouée de sa vie? Il l’avait aimée dès le premier jour où il l’avait vue, elle lui avait gardé fidèlement sa foi pendant qu’il combattait au Mexique pour conquérir un grade et mériter sa main, elle l’avait suivie dans les solitudes de l’Orégon et des Prairies, au milieu des Indiens, elle avait partagé les amertumes et les privations de ses années de pauvreté, le consolant par sa tendresse et le soutenant par son courage. Elle était encore sa seule joie maintenant que l’adversité avait de nouveau fondu sur lui, et après tant d’années d’inaltérable attachement, non-seulement il ne lui laisserait pas l’abri du plus modeste toit, mais il en était à se demander comment elle subsisterait. Pour cet homme qui, sous une rude écorce, cachait un cœur aimant, qui avait toujours été l’époux le plus affectueux et le plus attentionné comme il était le meilleur des pères, n’ayant jamais aucune distraction, même la plus innocente, en dehors du loyer domestique et ne trouvant de plaisir que dans l’intimité des siens et de quelques amis, la pensée du sort qui attendait peut-être sa femme était un tourment de tous les instans. Elle fit de ce soldat un écrivain.

Lorsqu’il avait quitté Washington, il avait recueilli avec le plus grand soin et mis en ordre toute sa correspondance militaire, tous ses rapports, toutes les notes qu’il avait prises pour lui-même pendant ses campagnes et pendant son administration. Témoin de l’attention qu’il apportait à ce classement, Mrs Grant, désireuse de lui créer une occupation, lui avait demandé pourquoi il n’écrirait pas ses mémoires : le général répondit un peu dédaigneusement qu’il lui suffisait d’avoir fait de l’histoire et qu’il abandonnait à d’autres la tâche de l’écrire, et il mit obligeamment tous ces matériaux à la disposition de son ancien secrétaire, le général Badeau, qui a écrit une relation de ses campagnes. Mrs Grant revenant à la charge en 1884, dans l’espoir que ce travail ferait diversion aux chagrins et aux préoccupations de son mari, Grant adopta avec empressement l’idée d’écrire ses mémoires, parce qu’il entrevit un moyen de réaliser ce qui était son rêve. Il fit sonder les éditeurs : les propositions affluèrent; mais elles se bornaient toutes à offrir une part déterminée dans le produit de la publication, après l’achèvement