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et la mise en vente du livre. Il y avait dans ces offres un aléa qui ne satisfaisait pas Grant : enfin, la maison Webster et C° le lui proposa 20 pour 100 du produit brut du livre et un versement immédiat, à titre d’avance, de 40,000 dollars entre les mains de Mrs Grant. Le traité fut signé aussitôt, et le général n’eut plus qu’une idée fixe : s’acquitter de sa tâche et mener à bien l’œuvre qui devait assurer l’existence de ce qu’il avait de plus cher au monde.

Il se mit aussitôt au travail avec acharnement, sans se douter encore que ses jours fussent comptés. On l’avait emmené au bord de la mer, à Long-Branch, pour le distraire de ses chagrins et l’aider à se remettre de sa pleuropneumonie et des suites de son accident. Le 2 juin 1884, en prenant son repas, il se sentit, à la partie supérieure du palais, une grosseur qui le gênait pour avaler. Cette grosseur devenant de plus en plus gênante et même douloureuse, le général consulta un médecin qui était de passage à Long-Branch, et qui lui conseilla de faire appeler immédiatement son médecin ordinaire et de se soigner immédiatement. Tout entier à l’œuvre qu’il poursuivait sans relâche, le général ne tint aucun compte de cet avis jusqu’aux derniers jours d’octobre, où, les progrès du mal l’empêchant de manger et le privant de tout sommeil, il fit appeler son médecin, qui conçut de vives alarmes et recommanda à son illustre client de se mettre entre les mains du docteur Douglas, qui avait la spécialité de traiter les maux de gorge. Celui-ci constata une vive ulcération de la partie supérieure du palais, une grande inflammation d’une des amygdales et de la gorge et un commencement d’induration à la racine de la langue. Le général était un fumeur déterminé ; le nombre des cigares qu’il fumait chaque jour était légendaire : aucun officier ne se rappelait l’avoir jamais vu sans un cigare à la bouche, même au fort d’une action et dans les momens les plus critiques. Les médecins pensèrent que, si cet abus de tabac n’était pas la cause même du mal, il devait tout au moins contribuer à l’aggraver : ils demandèrent au général de se restreindre à trois cigares par jour, et de n’en fumer que la première moitié. Au bout de quelques jours d’essai, Grant préféra renoncer absolument à fumer. Cette abstinence et le traitement lénitif prescrit par le docteur Douglas firent cesser les douleurs et la privation de sommeil ; et Grant se remit au travail avec vigueur : à la fin de décembre, il acheva le premier volume de ses mémoires et il commença le second. Mais, au milieu de février, le mal reparut dans toute son intensité, et un examen de la gorge ne laissa aux médecins aucun doute sur la nature de l’affection dont le général était atteint : il ne pouvait plus être question que d’alléger les souffrances du malade et de retarder le plus possible le fatal dénoûment. Ils ne