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de là, on lui proposa même une promenade en voiture : « Oh ! non, répondit-il, que diraient tous ces bons chrétiens qui prient pour mon rétablissement, s’il me voyaient prendre un plaisir le jour du Seigneur? » Grâce à ce court répit que lui accorda la maladie, il eut la joie d’achever le second volume de ses mémoires ; et il constata, avec une réelle satisfaction, que son ouvrage aurait deux cents pages de plus que ne l’exigeait le traité avec les éditeurs. La cruelle maladie ne tarda pas à reprendre sa marche ; les accidens se multiplièrent et les médecins annoncèrent que le patient ne résisterait pas au retour des chaleurs accablantes d’un été à New-York. Un des plus riches banquiers de la ville, M. Joseph Drexel, accourut et réclama l’honneur de mettre à la disposition du général une villa qu’il possède dans les montagnes, à Mont-Mac-Gregor, petite station balnéaire, voisine de Saratoga et beaucoup moins bruyante. L’offre fut acceptée du même cœur qu’elle était faite : elle prolongea de quelques semaines la vie de Grant. Celui-ci employa ses derniers jours à se faire relire ses mémoires, afin d’atténuer la sévérité de quelques jugemens et de supprimer quelques anecdotes dont on aurait pu tirer parti contre certains de ses anciens lieutenans; il ne voulait, disait-il, rien laisser dans ce testament de sa vie militaire qui pût blesser ou contrister personne ; mais les instans qu’il pouvait consacrer à cette révision devenaient de plus en plus rares et plus courts : ses forces étaient épuisées ; et il s’éteignit, le 28 juillet, sans l’agonie qu’avait fait appréhender sa robuste constitution, sans souffrance apparente, sous les yeux de tous les siens, et la main dans la main de sa femme.

Le télégraphe en porta immédiatement la nouvelle jusqu’aux extrémités de la confédération. Partout les cloches furent sonnées, partout les pavillons furent mis en berne ou voilés de crêpe, partout les particuliers prirent spontanément tous les signes ordinaires de deuil. Le jour même, le président Cleveland adressa au peuple une proclamation dans laquelle il annonçait et déplorait la perte que la patrie venait de faire : il ordonnait que tous les édifices fédéraux fussent immédiatement tendus de noir et demeurassent ainsi pendant trente jours, que l’armée et la flotte prissent le deuil, enfin, que toutes les administrations publiques fussent fermées le jour des funérailles, qui serait observé comme un jour de deuil national. Le corps de Grant fut ramené de Mont-Mac-Gregor à New-York, où la municipalité avait offert, au milieu d’un de ses parcs, un vaste emplacement pour lui donner une sépulture digne de lui, Rien ne fut épargné pour que les funérailles répondissent, par leur grandeur et leur pompe, aux regrets de la nation. On vit se dérouler, dans les rues de New-York, un cortège d’une longueur de