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dans les wagons ou dans les steamers qui desservent le littoral du Parana ou de l’Uruguay ; d’autres partent à pied, la besace au dos, pour se rendre là où la demande de bras est le plus active. Pendant les mois de novembre à février, ils louent à haut prix leurs services dans cette immense région qui s’étend du 27° au 40° lat. Sud, et où la moisson ne se fait pas partout à la même heure. Ces quatre mois de travail incessant, de salaires élevés qui varient entre 12 et 18 francs par jour, avec une nourriture substantielle, toujours aux frais du propriétaire, des nuits à la belle étoile, suffisent souvent à satisfaire leurs ambitions ; beaucoup, la moisson finie, reprennent le steamer, et, après une nouvelle traversée, débarquent au pays natal, montrant avec orgueil le rouleau d’or qu’ils ont gagné, pendant que l’hiver étendait sur l’Europe le sombre manteau de ses longues nuits, et de ses journées de pluie et de froid. Ils arrivent à l’heure pour ne pas manquer un seul des travaux que réclament les champs de leurs pays, les terminer tous, rentrer la moisson et repartir pour recommencer un nouvel été dans l’hémisphère sud.

Chaque année, ils constatent, à leur retour, l’extension de la zone cultivée. Avec quelle rapidité surprenante se fait cette conquête du désert dans un pays cependant où l’immigration n’apporte annuellement qu’un faible contingent n’atteignant pas encore 75,000 individus dans les années les plus favorisées ! La province de Santa-Fé, que l’on appelle avec raison la région du blé, a mis en culture, en 1883, 336,321 hectares, mais il lui en reste plus de 600,000 déjà divisés, préparés pour recevoir des colons, et 7 millions encore abandonnés au pasteur, qui se prêtent, sans exception, à la grande culture et attendent leur heure. Elle ne contient encore que 200,000 habitans, dont 50,000 dans les colonies où le nombre des familles propriétaires est de 5,455 ; 5,000 de ces familles sont étrangères et conservent leur nationalité.

Très américains dans leurs procédés de culture, les colons ne le sont pas moins dans leur manière de vivre ; sans avoir adopté les habitudes locales, ils ont adapté les leurs à ce nouveau milieu social. Leur costume, leur alimentation, leur langage, tout en eux se modifie peu à peu sous cette influence du milieu, sans qu’ils perdent pour cela le caractère propre et le cachet de leur origine, qu’ils sont en général jaloux de conserver. Leur costume de travail est presque partout le même : le béret, cette coiffure que les Basques ont si bien répandue partout qu’elle est un objet de première nécessité dans l’approvisionnement de tout magasin de ville ou de village pampéen, preuve manifeste de l’influence de l’émigrant sur le développement de l’industrie de son pays d’origine ; l’espadrille des montagnards pyrénéens, importée par la même voie ; le bourgeron