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de seize ans. Ils la livrent à la haute finance européenne qui, pour toucher les intérêts, écorche nos paysans bien plus durement encore que les fellahs d’Égypte. Éloignés des marchés, nos agriculteurs doivent vendre leurs denrées à vil prix, et quand ils ne peuvent payer les taxes, leurs biens sont saisis : aussi sont-ils livrés au désespoir. À chaque instant les insurrections sont à craindre. Voici une phrase croate que vous entendrez à chaque instant : « Holje je umrieti, nego umirati : Il vaut mieux périr d’un coup que mourir lentement. » Tant de souffrances ébranlent même l’attachement à l’empereur, et cependant c’était un culte héréditaire chez une nation qui, en 1848, a sacrifié quarante mille de ses fils pour défendre la couronne des Habsbourg. Maintenant on croit notre souverain ligué avec les Hongrois. Tout est pour eux, rien pour nous. Que d’argent on a dépensé pour régulariser et endiguer le Danube et la Theiss ! Et chez nous, voyez nos fleuves : la Drave, la Save, la Kulpa, ils sont à l’état sauvage. Regardez sur la carte le réseau de nos chemins de fer : tous sont tracés en vue de faire converger le trafic vers Pesth et de le détourner de la Croatie. Aucune ligne ne traverse notre pays. Il suffirait d’un tronçon, très facile à construire, pour relier Brod à Essek, de façon à amener directement les produits de la Bosnie à Agram et à Fiume. De Brod, que nous venons de quitter, la ligne la plus courte vers Pesth eût été par Djakovo et Essek. Non ; nous devons foire un long détour par Dalja.

« L’empereur a consenti à réunir les anciens Confins militaires à notre royaume. Excellente mesure que tous nous réclamions, car heureusement nous n’avons plus besoin de nous défendre contre les razzias des Turcs. Mais hélas ! elle a coûté cher aux pauvres habitans. Ils possédaient de magnifiques forêts de chênes que la couronne leur avait abandonnées en compensation du service militaire, auquel tous étaient soumis. MM. les Magyars sont venus, et ces vieux arbres, qui avaient été achetés au prix du plus noble sang, ont été abattus et vendus, pour payer les chemins de fer de la Hongrie. Ces forêts valaient, disait-on, cent millions ; c’était la réserve de l’avenir ; tout a été dévasté. Écoutez bien ceci : La Croatie est un petit pays qui ne compte pas même deux millions d’habitans, mais elle représente une grande race. Nous formions un état chrétien civilisé à l’époque où les hordes magyares erraient encore dans les steppes de l’Asie à côté de leurs cousins les Turcs. Jamais ces Finnois n’arriveront à dominer définitivement sur la masse des populations aryennes au milieu desquelles ils campent. Ils accepteront l’égalité des droits, ou ils retourneront en Asie avec les Ottomans. »