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communes de la Transleithanie avait été fixée à 6.44 pour 100, la Hongrie payant le reste, soit 93.56 pour 100. Il fut convenu qu’en tout cas la Croatie recevrait 2,200,000 florins pour les dépenses de son gouvernement autonome. En 1872, un nouvel accord décida que la Croatie garderait pour elle 45 pour 100 de son revenu. Il s’en est suivi qu’elle touche plus de 2,200,000 florins et que, d’autre part, les 55 pour 100. restant ne couvrent pas les 6.44 pour 100 des dépenses communes, d’où résultent des récriminations réciproques. La cause profonde de l’hostilité des deux peuples est que leur idéal est différent et même inconciliable. La « grande idée croate » consiste à réunir un jour en un puissant état toutes les populations parlant le croato-serbe, c’est-à-dire outre la Croatie, la « Slovénie », la Dalmatie, la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro et la Serbie, qui alors feraient équilibre à la Hongrie dans l’empire. Les Hongrois ne peuvent se résigner à cette perspective, qui briserait l’unité de la couronne de Saint-Etienne et qui ne leur permettrait plus de résister aux Allemands et aux Tchèques de la Cisleithanie. Ils essaient donc, de toutes façons, d’entraver le développement de l’esprit national croate, et, en ce faisant, ils sont entraînés à des vexations qui irritent, sans aucun résultat utile pour eux. Si les Croates pouvaient être persuadés qu’à Pesth on entend respecter en tout leurs droits acquis et leur nationalité, les difficultés inhérentes à un système d’union très peu maniable, sans disparaître complètement, perdraient au moins de leur aigreur.

Cette situation troublée a donné naissance en Croatie à trois partis : le parti national, le parti national indépendant, et le parti de la gauche extrême, qui se donne à lui-même le beau nom de « parti du droit, » Rechtspartei. Le parti national entend maintenir l’Ausgleich de 1868 dans sa lettre et dans son esprit. Il veut le défendre, et contre le pouvoir central qui s’efforce d’étendre ses attributions, et contre les réformateurs qui réclament une plus grande autonomie. Dans son programme du 27 décembre 1883, il montre que les récentes insurrections et les dangers qui menacent l’avenir du pays proviennent uniquement de ce que, des deux côtés, on veut s’écarter du terrain ferme et légal du Compromis. Le parti national indépendant marque plus nettement son opposition aux tentatives centralisatrices. Dans un discours récent, au sein de la diète, l’un des députés les plus écoutés, le docteur Constantin Bojnovitch, faisait voir clairement comment la façon différente de comprendre la mission du ban était une cause inévitable de conflits. « A Pesth, disait-il, on veut que le ban soit un simple gouverneur, obéissant aux ordres du ministère. D’après nous, et conformément à la loi du 10 janvier 1874, il n’est responsable que vis-à-vis de