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une université, des écoles de tous les degrés, et surtout quand s’ouvrent devant elle, au-delà de la Save et du Danube, des perspectives d’expansion et de grandeur presque illimitées, qu’entretiennent à la fois les souvenirs de l’histoire et les aspirations de la démocratie. Qu’aura gagné la Hongrie quand elle aura fait entrer dans les bureaux d’Agram quelques-uns de ses employés et exigé la connaissance de sa langue, ou quand elle aura placé sur les monumens publics quelques inscriptions en magyar ? Elle ne réussira qu’à éveiller des susceptibilités et des haines violentes, comme on l’a vu, l’été dernier, lorsqu’il a suffi que les écussons placés sur les édifices de l’état portassent une traduction hongroise, à côté de la désignation en croate, pour provoquer dans les rues d’Agram une émeute sanglante.

Homme d’état de premier ordre, libéral convaincu, partisan dévoué de tous les progrès et de toutes les libertés, M. Tisza poursuit, comme un autre ministre éminent, M. de Schmerling, la création d’un gouvernement unifié à la façon de ceux qui existent en France ou en Angleterre. Mais il faut tenir compte des résistances quand elles sont invincibles. Le moment d’ailleurs serait mal choisi pour essayer de les briser. Les concessions décisives faites par le ministère Taaffe aux Tchèques, en Bohême, accroîtront énormément les forces et les espérances du parti national en Croatie et dans les autres pays de même race. En outre, et ceci est grave, les féodaux, si puissans à la cour, favorisent les revendications des Slaves contre les Hongrois, parce que ceux-ci représentent à leurs yeux le libéralisme et la démocratie. Il ne faut point perdre de vue une éventualité redoutable. Le régime de l’union entre l’Autriche et la Hongrie est d’une pratique si difficile qu’en temps d’épreuves, il pourrait donner lieu à un conflit entre les deux pays. Dans ce cas, quel péril pour les Magyars de trouver leurs ennemis les plus acharnés, parmi les pays de la couronne de Saint-Etienne, qui les attaqueraient à revers, en Croatie et en Transylvanie! Leur intérêt le plus évident n’est-il pas de s’en faire plutôt des amis, en renonçant franchement à toute ingérence dans leurs affaires et en favorisant par tous les moyens leur développement matériel et intellectuel? L’influence prédominante qu’exercent en ce moment les Hongrois dans tout l’empire est une preuve incontestable de la supériorité de leurs hommes d’état. Mais, à mesure que l’instruction et le bien-être se répandent et que les institutions deviennent plus démocratiques, il est plus difficile aux minorités de comprimer les majorités. Or, au milieu des Slaves, des Allemands et des Roumains, les Magyars sont une minorité. Rien de plus dangereux, par conséquent, que d’exaspérer ceux à qui la force du nombre finira, tôt ou tard, par