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monopole ont été demandées, mais sans aboutir. La seule qui ait réussi est une grande fabrique de draps, établie à Paratchine, par une maison de Moravie. Mais l’état est obligé de lui prendre tous les draps nécessaires à l’armée, en les payant 10 pour 100 de plus que le prix le plus bas soumissionné par d’autres fournisseurs. Ceci est une rude charge imposée aux contribuables. Et qui en profite? Personne; pas même les ouvriers, qui reçoivent un minime salaire : 0 fr. 40 à 1 franc pour les femmes, 1 fr. 50 à 2 francs pour les hommes. Tout monopole est une entrave au progrès, et partout où on l’a pu, on les a supprimés. On les comprend quand ils rapportent un revenu au fisc, comme ceux du sel, du tabac ou des allumettes; mais un monopole qui coûte de l’argent à l’état et qui grève tous les consommateurs est une chose absurde et inique. Dans un pays où chacun est propriétaire et cultive sa propre terre, l’heure de l’industrie manufacturière n’est pas venue ; il manque le prolétariat, pour lui fournir la main-d’œuvre à bon marché par la concurrence des bras. Au lieu de se féliciter d’une situation économique si heureuse, qui permet à tous de mener la vie saine de la campagne et de se procurer, par le travail agricole, un bien-être suffisant, le gouvernement serbe s’efforce, au moyen de primes, de protection et de privilèges, de créer une industrie factice, contre nature, plus exposée encore que la nôtre aux crises cruelles dont nous souffrons périodiquement. Quelle aberration ! Elle est dictée par cette idée qu’un pays où manque la grande industrie est arriéré, barbare. Même erreur en Italie. Voit-on s’élever des cheminées de fabrique, on s’en réjouit : c’est l’image de la civilisation occidentale. Qui profitera de la création de ces établissemens? Ni l’état, qui leur accorde des faveurs de toute espèce, ni le public, rançonné par les monopoleurs, ni surtout les travailleurs enlevés des champs et entassés dans les ateliers. Quelques spéculateurs étrangers s’enrichiront peut-être aux dépens de la Serbie et iront dépenser ailleurs le produit net de leurs prélèvemens privilégiés.

Comme le sol, source principale de la richesse, est aux mains de ceux qui le font valoir, il n’y a pas de fermage payé, et ainsi manque la classe des rentiers et des oisifs, qui forment les grandes villes : Belgrade n’a que 36,000 habitans et Nisch 25,000. Toute la population urbaine, y compris celle des bourgades, ne dépasse pas 200,000 âmes. Il n’y a point du tout d’aristocratie et très peu de bourgeoisie; celle-ci est composée des négocians, des boutiquiers et des propriétaires de maisons. Mais, d’autre part, il n’y a point de paupérisme; les infirmes, les vieillards et les malades sont soutenus par leurs proches et, dans les villes, par la commune ou par les associations ouvrières. Presque tout ce qu’il faut aux habitans