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la grande industrie aux États-Unis, la Nouvelle-Angleterre avait autant de lumières et de bien-être et plus de vertus et de vraie liberté qu’aujourd’hui. Lisez ce qu’en disent les voyageurs clairvoyans de cette époque : Michel Chevalier, Ampère, Tocqueville : nulle part ils n’avaient trouvé un état social plus parfait. Voilà l’idéal qu’il faut poursuivre et dont la Serbie n’est séparée que par une certaine infériorité de culture qui est le résultat inévitable de quatre siècles de servitude. Si ma voix pouvait être écoutée, je dirais aux Serbes : Conservez vos institutions communales, votre égale répartition de la terre, respectez les autonomies locales ; gardez-vous de les écraser sous une nuée de règlemens et de fonctionnaires. Ayez surtout de bons instituteurs, des popes instruits, des écoles pratiques d’agriculture, des voies de communication ; puis, laissez agir librement les initiatives individuelles, et vous deviendrez un pays modèle, le centre d’agglomération de cet immense et splendide cristal en voie de formation, la fédération des Balkans. Mais si, au contraire, vous violentez et comprimez les populations, pour marcher plus vite et vous rapprocher en peu de temps de l’Occident, vous conduirez la Serbie et vous-même à l’abîme, car vous provoquez les révolutions.

— Je m’entretiens avec M. Vladan Georgevitch du service sanitaire de la Serbie dont il est l’organisateur et dont il est très fier. Il a beaucoup voyagé et beaucoup étudié, et il a pu édicter une réglementation modèle dans un pays où presque tout était à faire. J’en dirai quelques mots parce qu’elle soulève un très grave débat. Il est certain qu’il est pour les communes une série de mesures, et pour les individus une façon de vivre, de se nourrir et de se soigner, en cas de maladie, qui sont les plus conformes à l’hygiène publique et privée. L’état doit-il, par des règlemens détaillés, imposer tout ce que commande la science à cet égard, comme il le fait dans l’armée, afin d’accroître autant que possible les forces de la population ? Il est hors de doute, qu’en le faisant, l’état aidera les citoyens à se mieux porter et à se mieux défendre des épidémies ; mais, d’autre part, il affaiblira le ressort de l’initiative et de la responsabilité individuelles, comme on l’a vu dans les établissemens des jésuites au Paraguay ; il favorisera l’extension du fonctionnarisme ; la nation deviendra un mineur soumis à une tutelle perpétuelle. Récemment, Herbert Spencer a poussé, à ce sujet, un cri d’alarme d’une admirable éloquence en décrivant l’esclavage futur : the Corning Slavery, qui réduira, dit-il, les hommes, libres jadis, à n’être plus que des automates aux mains de l’état omnipotent. C’est l’éternel débat entre l’individu et le pouvoir. Je me trouve très embarrassé en présence d’une réglementation plus minutieuse, plus excessive qu’aucune