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opiniâtre. Comme son aïeul. Kaméhaméha Ier, auquel il ressemblait beaucoup physiquement et moralement, il aimait la solitude, n’avait aucun goût pour les cérémonies d’apparat et les réceptions officielles. Les différens partis qui se disputaient l’influence et le pouvoir ne savaient trop ce qu’ils avaient à espérer ou à redouter de son avènement. Bien que plus âgé que son frère, sa santé robuste, son genre de vie ne permettaient, pas de douter qu’il ne lui survécût. Kaméhaméha IV, en effet, dépérissait lentement, le 30 novembre 1863, il s’éteignait subitement.

Il avait régné huit ans. Dans ce court espace de temps l’archipel havaïen avait franchi une nouvelle et considérable étape dans la voie du progrès et de la civilisation. Il ne restait plus trace de l’antique barbarie ; le régime féodal, fondé par Kaméhaméha Ier, avait disparu. Un roi jeune, épris des idées modernes, entraîné lui aussi par le courant de son siècle, avait inauguré une ère nouvelle, attiré et retenu l’immigration, développé l’agriculture, pratiqué le régime constitutionnel. Malgré ses écarts et ses fautes, il emportait avec lm l’affection de ses sujets et de la colonie étrangère, dont il avait encouragé l’esprit d’entreprise et favorisé la propagande religieuse. Le jour même de la mort de son frère, le prince Lot était proclamé roi sous le nom de Kaméhaméha V.

Le premier acte du nouveau souverain fut un acte de déférence et de courtoisie à l’adresse de la reine Emma. Il l’invita à continuer de résider au palais, au moins jusqu’après les funérailles de son mari, et lui témoigna, par les attentions les plus délicates, la part qu’il prenait à son chagrin. Puis, après avoir pourvu à l’expédition des affaires courantes, il quitta Honululu et se retira dans sa résidence de Waikiki, à quelques kilomètres de la ville, où il s : renferma dans une solitude absolue pour mûrir ses plans et arrêter le choix de ses ministres. Il projetait, en effet, des changemens considérables et voulait, pour les mener à bonne fin, s’entourer d’hommes résolus, on communion d’idées avec lui et sur le concours desquels il pût faire fond. La constitution essentiellement démocratique de 1852, œuvre du parti américain, imposée à l’ignorance de Kaméhaméha III, subie ensuite par Kaméhaméha IV, lui inspirait une répugnance absolue et lui paraissait incompatible avec les traditions monarchiques du royaume et le maintien de son indépendance. À l’époque où cette constitution avait été élaborée, le parti américain poussait de toutes ses forces à l’annexion des îles aux États-Unis. Aussi un article spécial de sa constitution donnait-il au souverain le droit d’aliéner son royaume et d’en négocier la cession à la république américaine.

Bien résolu à ne jamais faire usage de ce droit, Kaméhaméha V