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estimait que tant qu’il serait maintenu, il provoquerait et justifierait les tentatives annexionistes. Il répugnait également à la nomination des membres de l’assemblée par le suffrage universel sans aucune restriction, la loi accordant le droit de vote à tout étranger qui se faisait naturaliser, et le nombre de ces derniers croissant d’année en année, D’autre part, et aux termes de cette même constitution, le roi devait, à son avènement, prêter serment de l’observer et de la maintenir, Kaméhaméha V était bien décidé à n’en rien faire, Il entendait détruire complètement cette œuvre de parti et lui substituer une constitution nouvelle, libérale, mais essentiellement monarchique et qui affirmât hautement l’autonomie de la race indigène. L’entreprise n’était pas sans danger : il était évident que les américains résisteraient et pousseraient les indigènes à la résistance, qu’ils se poseraient en défenseurs de l’ordre et de la légalité, en partisans d’une constitution ratifiée par deux souverains et que ne pouvait supprimer le caprice de leur successeur.

Le parti américain ignorait absolument les intentions du roi. Très silencieux d’ordinaire, il s’était jusqu’ici renfermé dans un mutisme absolu sur les questions de politique générale. À la chambre, au conseil, il prenait rarement la parole et n’abordait la tribune que pour les discussions administratives de son ministère de l’intérieur. Il vivait retiré, sans autre véritable intimité que celle de son frère et de sa belle-sœur. Son entourage se composait de quelques Américains qu’attiraient auprès de lui sa fortune, sa générosité et l’absence d’étiquette de sa vie de garçon. Ils étaient ses commensaux, se croyaient ses amis et, depuis que la mort du prince de Havaï et la santé chancelante de son frère l’avaient rapproché du trône, ils aspiraient à devenir ses conseillers et ses ministres.

L’opinion publique partageait leurs illusions ; : aussi apprit-on avec étonnement que le roi, rompant ouvertement avec le parti américain, appelait au ministère des hommes nouveaux, connus pour leur hostilité à l’annexion et à la constitution de 1852, Le ministère des affaires étrangères, celui de l’intérieur et la place de secrétaire du roi étaient confiés à des Anglais ; le roi m’appelait an ministère des finances ; un Américain, ancien sénateur au congrès des États-Unis, mais antiannexioniste, M. E.-H. Allen, devenait garde des sceaux et juge en chef de la cour suprême. Ces choix étaient une déclaration de guerre très nette aux partisans de l’annexion ; ils ne s’y trompèrent pas et commencèrent, dans les journaux locaux et dans la presse des États-Unis, très répandue dans l’archipel, une campagne violente contre le nouveau ministère.

Sommé par eux de prêter serment à la constitution de 1852, Kaméhaméha V fit savoir qu’il n’en ferait rien. Il invita ensuite par une