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Dans une conversation avec la reine j’abordai ce sujet délicat, mais, ainsi que je le prévoyais, et que le roi le devinait, ses scrupules religieux et le souvenir de son premier mari étaient d’insurmontables obstacles. Je crois que, dans une situation autre et moins en vue, elle eût plus écouté ses sentimens personnels, et que l’estime et l’affection qu’elle avait pour lui eussent triomphé de ses hésitations. Elles étaient telles qu’il était impossible d’insister, et le roi s’appliqua par tous les moyens en son pouvoir à lui faire oublier sa demande et à maintenir leurs rapports sur le même pied qu’autrefois.

De retour à Honolulu, la reine prit possession de la villa que son beau-frère avait fait préparer pour elle pendant son voyage en Europe, dans un des plus beaux sites de la vallée de Nunanu et à peu de distance de la ville. Elle en fit sa résidence favorite et y passait la plus grande partie de l’année. A la mort de son père adoptif, le docteur Rooke, elle avait hérité de sa fortune et de la maison qu’il possédait en ville. Elle la aménager et l’habitait de temps à autre quand quelque cérémonie officielle ou la présence sur rade d’un vaisseau amiral obligeaient le roi à recevoir. La reine Emma présidait à ces réceptions et à ces dîners, pour lesquels il s’en reposait entièrement sur elle.

Pendant le règne de Kaméhaméha V, Emma s’adonna exclusivement à ses œuvres de bienfaisance, créant et présidant des associations charitables, usant de son influence sur le roi, qui l’appelait en riant son ministre des aumônes, pour venir en aide à ses nombreux protégés.

Kaméhuméha V mourut subitement le 11 novembre 1872, jour anniversaire de sa naissance, il atteignait sa quarante-troisième année. Fort et vigoureux, il semblait avoir de longues années devant lui. Comme son frère, il fut emporté en quelques heures sans que les médecins, appelés trop tard, lui fussent d’aucun secours. Avec lui s’éteignait la dynastie des Kaméhaméhas. Aux termes de la constitution, les chambres se réunirent pour désigner un nouveau souverain. Ce choix ne pouvait toutefois porter que sur un chef, de la race des aliis ou nobles. Trois candidats étaient désignés par leur rang. En première ligne venait le prince William Lunalilo, cousin du roi, âgé de trente-trois ans. Membre de la chambre des nobles, actif, intelligent, ambitieux, il avait eu une jeunesse orageuse. Possesseur d’une grande fortune, il en avait usé pour s’abandonner à tous les excès d’une nature ardente, mais telle était la vigueur de sa constitution qu’il avait résisté à cette vie de plaisirs et que sa santé ne paraissait même pas en être affectée. Très populaire parmi les indigènes, aimé des étrangers, William Lunalilo avait