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cheveux blonds ardens, son œil clair et bleu ; sur la collerette blanche du règne d’Elisabeth se dessine un type bien complet de vigoureuse race anglaise.


V

La troupe du lord Chamberlain joua encore le 2 février 1603 devant la reine Elisabeth. Moins de deux mois plus tard, le 24 mars, la reine mourait à Richmond. La troupe dont elle avait été l’intelligente et généreuse patronné, ne perdit pas, autant qu’on aurait pu croire, à l’avènement de Jacques Ier. Le roi aimait les lettres ; il manda près de lui les comédiens en renom, prit plaisir à les voir jouer et leur accorda une « licence. » Le 15 mars 1604, quand le roi fit son entrée solennelle dans Londres, les neuf acteurs qui avaient reçu la « licence » suivaient le cortège, et, parmi eux Burbage, Heminge, Condell et William Shakspeare. Chacun reçut la largesse de quatre yards de drap rouge. La troupe ne fut plus celle du lord Chamberlain et passa au service personnel du roi ; les comédiens prirent place parmi les grooms de la chambre royale.

La plupart des pièces paraissaient devant le roi avant d’être produites au Globe. Ni la faveur royale, ni la popularité ne manquaient à Shakspeare. Ou a trouvé de cette popularité une preuve bien particulière : peu d’années après la première représentation d’Othello, un bourgeois de Shoreditch, William Bishop, fit baptiser sa fille sous le nom de Desdemona. Voilà qui en dit plus que bien des éloges.

Donc, Shakspeare jouissait, visant, de la gloire, de la fortune et de la considération. Chaque année a son triomphe ; c’est le Roi Lear, le Comte d’hiver, Macbeth, Antoine et Cléopâtre, Cymbeline, la Tempête ; c’est ce bizarre et grossier Périclès, que nous comprenons à peine, et qui fit fureur alors. Au Globe, ou au théâtre de Blackfriars, où la troupe du roi se transporta en 1609, après l’incendie du Globe, partout Shakspeare retrouve la même faveur populaire.

À ce moment même où on attend de lui des œuvres nouvelles ou on le voit en pleine possession de sa gloire et de son génie, il s’arrête et se retire ; il quitte Londres et retourne à Stratford. « Quand tu sentiras la bourse bien garnie, dit un auteur contemporain, achète-toi quelque bien ou quelque seigneurie dans ton pays, et ainsi, lorsque tu seras las de jouer, ton argent t’apportera dignité et bon renom. » Ce conseil pratique, Shakspeare le suivit. Depuis le 1er novembre 1611, où fut représentée la Tempête, avec la musique de Robert Johnson, « un des musiciens royaux pour les luths. » jusqu’à la mort, de Shakspeare, quatre ans et demi vont