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celle d’un Bulgare. Le sous-préfet qui vient nous souhaiter la bienvenue est vêtu tout de blanc, comme Skobelef, à qui il ressemble. Sa grande barbe rousse se déploie en éventail. Il a une casquette blanche avec un liséré vert, de hautes bottes fortes et il porte son sabre en bandoulière, à la façon russe. Ses pandours, avec leurs larges pantalons et une veste brune à soutaches noires et des bonnets en astrakan, ont un aspect très martial. La petite bourgade est formée d’une seule large rue, bordée de maisons de bois et d’échoppes basses et ouvertes « à la turque ; » mais déjà on bâtit des maisons en briques à étage, et ce qui fait plaisir à voir, voici une école toute neuve, bon signe pour l’avenir. J’invite le sous-préfet à dîner avec nous à la mehana. Elle est bien blanchie à la chaux et tout y est très propre ; mais presque point de meunles, Dans les deux chambres à coucher, rien ; au lieu de lit une plate-forme sur laquelle le voyageur peut arranger ses tapis et ses coussins pour dormir. Sur les murs quelques gravures représentant des saints du rite orthodoxe et un cadre plus grand, où l’on voit le prince Alexandre « knèze de Bulgarie. » Deux lions redressés lui présentent des strophes rimées, et plus bas, deux femmes enchaînées, la Macédoine et la Thrace, implorent son secours, aussi en vers, afin qu’il les délivre du joug ottoman.

C’est dans cette région que les Russes sont restés le plus populaires. Je remarque partout, outre des images de saints venues de Moscou, les portraits des héros de la dernière guerre, l’empereur Alexandre, le prince Nikita, du Monténégro, Skobelef, Gourko et Kiréef. Rien de plus héroïque que la mort de Kiréef ; elle a été racontée par l’éminent historien anglais Protide, dans la préface qu’il a écrite pour le livre Russia and England, de Mme Olga de Novikof, sœur de ce martyr de la cause slave. Combattant les Turcs à Isvor, Kiréef s’avance à la tête des milices serbes, le drapeau à la main ; une balle lui casse le bras. Il saisit l’étendard de son autre main et continue à s’avancer. Deux balles le jettent à terre, il n’est pas encore tué. Il se relève, crie : « En avant ! » et fait quelques pas jusqu’à ce qu’une nouvelle volée l’achève. Cette mort légendaire, portée aux nues dans tous les journaux russes et surtout dans les églises, où des services solennels furent célébrés, produisit un tel soulèvement de l’opinion, qu’elle fut une des causes qui hâtèrent ou décidèrent l’intervention de la Russie. Je me plais à croire, avec Froude, que si la Serbie ou la Bulgarie ont été défendues par les armes russes et ainsi définitivement affranchies, c’est à Kiréef, ce héros digne des anciens temps, qu’on le doit.

Le sous-préfet est de Sistow ; il a fait la dernière guerre contre les Turcs. Il est enthousiaste de Gourko, — « Si on l’avait