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écouté, dit-il, la guerre aurait été terminée presque au début et on n’aurait pas vu la Russie obligée de concentrer toutes ses forces, pour ne réussir à vaincre qu’avec l’aide des Roumains. Il fallait masquer Plewna, au lieu de s’acharner à s’en emparer, soutenir Gourko au-delà du Chipka et marcher bravement sur Andrinople. À Constantinople, on avait perdu la tête. Le sultan se préparait à passer en Asie. Il aurait rappelé en arrière Osman-Pacha, et on aurait ainsi pu terminer la campagne sans verser des flots de sang, et avec un tel prestige, que l’Angleterre n’eût même pas songé à s’opposer à l’affranchissement complet de la péninsule. Maintenant, la besogne est à moitié faite : c’est à recommencer. » Le sous-préfet me parlait en allemand, mais il savait aussi quelques mots de français. Au télégraphe, l’employé me répond en cette langue. En Bulgarie, la plupart des personnes instruites la connaissent suffisamment.

Nous partons vers une heure. — Vous aurez de la chance si vos chevaux vous mènent ce soir à Sophia, me dit le sous-préfet. Un orage récent a mis la route en très mauvais état. — Autour de Tzaribrod, la culture est pauvre ; les paysans sont occupés à biner le maïs, qui forme également ici leur principale nourriture. Quelques champs d’avoine sont empoisonnés de mauvaise herbe. Bientôt nous entrons dans la gorge de Derwent, en suivant le cours d’un torrent qui en occupe tout le fond. Les parois du ravin sont formées, non de rochers à pics, mais de pentes très abruptes et hautes, couvertes de broussailles. Par-ci, par-là, on aperçoit, se découpant sur le ciel bleu, des sommets saupoudrés de neige ; mais pas de sapins, ni de roches perpendiculaires, comme dans l’Oberland suisse. La route a été très mal faite ; elle n’est pas défendue contre les attaques des eaux, qui la minent, de sorte que des parties en ont été enlevées. Nous sommes obligés de nous hasarder dans le cours même du torrent. À un autre endroit, ce qui reste du chemin est si étroit qu’il faut dételer le troisième cheval ; c’est à une montée : les deux autres s’arrêtent, la voiture recule, elle est à un pouce du précipice. Heureusement, le pissar, doué d’une force herculéenne, l’arrête en plaçant une grosse pierre sous la roue. Un bon coup de fouet et nous sommes sauvés. Plus loin, un pont, le seul que nous rencontrons, est fait en poutres juxtaposées et recouvertes de terre ; mais l’une d’elles a cédé et un trou béant s’est formé. Ici encore nous passons sans accident. Qu’on veuille bien remarquer que ceci est la grande route qui unit la Serbie à Sophia et à Constantinople. Ce devrait être la voie de communication la plus importante de la péninsule. Toutes les migrations, toutes les expéditions, toutes les armées, toutes les relations postales et administratives n’ont pas eu