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Espagnols entrèrent dans Gertruydenberg, qui leur donnait entrée au cœur de la Hollande. Le gouverneur anglais, dont la garnison était mutinée, ne put défendre la place et la livra, à la grande colère du comte Maurice et des états.


III

Au printemps de 1590, Farnèse concentra des troupes nombreuses sur la frontière française de l’Artois et du Hainaut, et se prépara à entrer en France. Mayenne était venu le voir à Bruxelles et s’était concerté avec lui pour la campagne qui allait s’ouvrir. Farnèse n’était guère enclin à quitter les provinces belges ; il eût préféré y rester, y asseoir fermement son autorité et travailler à reprendre la Hollande ; mais Philippe II en avait décidé autrement et lui avait donné l’ordre d’entrer en France. Le roi de France assiégeait Dreux, attendant des renforts d’Angleterre, des Pays-Bas et d’Allemagne. Parme, obéissant aux ordres de Philippe, envoya d’abord à Mayenne 1,800 chevaux, commandés par le comte d’Egmont. Mayenne passa la Seine à Mantes avec 10,000 hommes de pied et 4,000 chevaux. On sait que l’armée de la ligue fut vaincue à Ivry et qu’après sa victoire Henri IV alla faire le blocus du Paris.

Farnèse était désespéré ; l’armée des Pays-Bas était bien payée, bien disciplinée, au lieu que la sienne était mécontente ; il avait dû licencier un régiment, le régiment Manrique était mutiné à Courtrai et réclamait deux ans de gages. Chaque jour il fallait garrotter ou pendre des vétérans. Il avait auprès de lui un espion, Moreo, qui le dénonçait au roi d’Espagne. Farnèse, au dire de Moreo, travaillait pour son propre compte, il était dégoûté de son maître ; comme tous les petits princes italiens, il voulait devenir un grand prince. Moreo le suivait comme une ombre, à Anvers, à Bruxelles, aux eaux de Spa ; quand le sol manquait sous ses pas dans les Flandres, quand il tremblait de perdre le fruit de ses longs efforts, on lui demandait l’impossible, la conquête de la France, on rejetait sur lui la responsabilité de la défaite d’Ivry, des souffrances endurées par les Parisiens. Le duc de Parme avait été sondé par des envoyés du roi de Navarre comme par ceux d’Elisabeth d’Angleterre ; on avait fait miroiter devant lui l’espoir d’une souveraineté : il avait été sourd à toutes les promesses. Les motifs de mécontentement ne lui manquaient pourtant pas : il n’avait pas le droit de faire un emprunt pour le roi d’Espagne, il dut emprunter pour son propre compte quelques milliers de couronnes pour ses soldats, mettre son argenterie et ses bijoux en gage ; sans argent, sans