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Navarre. Il savait que Mayenne, tout en recevant l’or de L’Espagne, ne songeait point à mettre la couronne de France sur la tête de Philippe II ou d’une infante et qu’il la donnerait plutôt, comme l’écrivait Feria, au Grand-Turc.

Pendant ces campagnes de France, qui portèrent au comble la réputation du capitaine, le gouverneur des Pays-Bas, le politique prévoyant demeurait inquiet, et sans cesse Moreo, que Philippe II avait envoyé à Paris après la mort de Henri III, dénonçait sa tiédeur dans ses lettres au secrétaire d’état Idiaquez. « J’ai vu clairement que le duc est dégoûté de Sa Majesté, et un jour il m’a dit qu’il lui était bien égal que le monde entier allât de travers, sauf les Flandres… » — « Mais ceci, écrivait-il encore, n’est qu’une petite partie de ce que je pourrais dire. Soyez certain que personne, dans les Flandres, ne veut du bien à l’Espagne ni à la cause catholique, et que les associés du duc de Parme s’en vont disant qu’il ne convient pas aux princes italiens que Sa Majesté soit un aussi grand monarque qu’elle prétend l’être. » Le poison entrait lentement dans le cœur toujours jaloux et défiant de Philippe. Aussi le roi écrivait-il à Farnèse qu’il devait conférer régulièrement avec Moreo et avec deux autres envoyés, Mendoza et Tassis : le bruit courait déjà, que le duc de Pastrana allait être envoyé pour arrêter le duc de Parme. Farnèse connaissait toutes ces intrigues ; il se plaignait quelquefois à Idiaquez : Etait-ce là la récompense qu’il devait attendre pour avoir négligé, pour le service de son roi, sa famille, ses parens, ses enfans, son duché, pour avoir sans cesse livré sa vie aux hasards ? Moreo mourut subitement, et les mauvaises langues parlèrent tout de suite de poison ; on trouva la preuve, dans les papiers de cet envoyé, qu’il avait sans cesse noirci le duc de Parme. Celui-ci se plaignit cette fois directement au roi d’Espagne : « Je me plains, après tous mes labeurs et les dangers encourus au service de Votre Majesté, oubliant enfans, maison, amis, quand déjà je suis prêt à rendre l’âme, et la mort entre les dents, d’être ainsi traité, au lieu de recevoir des récompenses et des honneurs, et qu’on me permette de laisser à mes enfans, ce qui vaut mieux que tous les biens que peut donner une main royale, un nom honoré et sans tache. » Il ose demander à Philippe de regarder toute cette affaire « de l’œil non d’un roi, mais d’un gentilhomme. »

Farnèse n’avait cessé de représenter au roi qu’on ne pouvait songer à conquérir la France sans de puissans moyens d’action ; il y voyait les grands disposés à accepter l’or d’Espagne, mais peu disposés à en recevoir un roi : « Si j’étais entré, écrivait-il, en France avec une année suffisante, bien payée et disciplinée, avec une