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de l’empire de ce Charles-Quint dont le sang coulait dans ses veines. Il vit clairement à quelles conditions l’Espagne pouvait conserver les Pays-Bas, il força Philippe II à changer sa politique ; s’il importunait sans cesse le roi d’Espagne par des demandes d’argent, ce n’était pas seulement pour assurer l’entretien de son armée, c’était aussi pour acheter des consciences. L’or d’Espagne n’allait pas seulement aux mains de Mayenne et des ligueurs français. On voudrait pouvoir défendre Farnèse contre certaines accusations qui furent portées contre lui ; mais il était difficile, quand une partie si considérable des sommes destinées aux services publics trouvait toute sorte d’emplois corrupteurs, que la médisance épargnât sinon sa propre personne, au moins ses favoris, ses favorites, et il en avait de l’ordre le plus infime, on pourrait dire le plus vil. Il faut faire la part de la haine dans les accusations qui furent portées contre Farnèse : toutefois, on ne peut nier que la corruption était un de ses moyens préférés et qu’il ne se piqua jamais de mettre l’ordre dans les finances. Son secrétaire intime, un jeune Italien, Cosmo Massi, obtenait de lui tout ce qu’il voulait ; son valet de chambre pouvait tirer sur le trésorier des Pays-Bas ; ses maîtresses en obtenaient beaucoup d’argent. Il aimait la magnificence dans les vêtemens, et quand il n’avait plus un écu pour ses vétérans, il empruntait pour habiller superbement ses gardes. Il savait qu’une certaine pompe militaire en impose aux peuples, et, sans doute, le sang italien parlait aussi en lui. Régnant à Parme, il eût vécu à la façon des autres princes italiens : pour les plaisirs et pour les arts, La fortune, en l’exilant dans les Pays-Bas, le servit bien et lui donna l’occasion de se montrer digne de son aïeul Charles-Quint ; elle lui refusa quelques-unes des parties qui font les véritables grands hommes, mais il eut certainement le mérite et l’on pourrait dire la gloire de reconquérir une moitié des provinces qui, un moment, s’étaient unies dans une commune révolte et une commune destinée. S’il ne fit pas la Belgique libre, il fit la Belgique et la contint sous la souveraineté de la maison d’Autriche. On n’y dut pas regretter que Farnèse n’eût pas songé à s’y rendre indépendant, car son fils Ranuce fut un des plus détestables princes dont les villes italiennes eurent à subir la tyrannie.


AUGUSTE LAUGEL.