Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 72.djvu/217

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sous le nom de classe dominante, prêche aux petits l’humilité et le respect des bonheurs injustes. Ils se plaignent « que des montagnes de sottises séculaires pèsent sur eux, » que la doctrine chrétienne n’est « qu’un système d’émasculation morale, » et ils se comparent « à une plante de salade que l’on attache et que l’on emprisonne sous un pot à fleurs pour la rendre aussi blanche, aussi tendre que possible et l’empêcher de pousser des feuilles vertes, de fleurir et de fructifier. » Ils dénoncent les cruautés de la nature, qui ne respecte que les forts et ourdit de criminels complots contre les faibles. Ils s’indignent « de la bêtise du monde ; » ils s’écrient que l’univers n’est qu’une immense imposture.

Mme Buchholz raisonne peu et ne déclame guère ; elle n’a pas de temps à donner à de mélancoliques et stériles contemplations ; elle ne s’est jamais disputée ni avec le bon Dieu, ni avec le diable. On lui persuaderait difficilement que l’univers est une immense imposture ; elle croit, de toutes ses forces à l’entière réalité de la rue Landsberger et de ses habitans, et elle estime que le monde a sa raison d’être puisque Mme Buchholz existe. Assurément, elle ne s’endort pas dans un béat optimisme. Elle considère le mariage comme un train de guerre et de combats. Les maris demandent à être surveillés de très près ; l’esprit est prompt, la chair est faible, et Berlin est « un nid de péchés, » Berlin est une Babylone où les tentations abondent ; le jour et la nuit, elles y battent le pavé ; salles de bal ou petits théâtres, elles guettent partout leur proie ; elles s’embusquent dans l’épaisseur des fumées bleuâtres qui remplissent de leur brouillard les brasseries-concerts et leurs cavernes dorées et, si l’on n’y prenait garde, la petite dame plâtrée que vous voyez là-bas aurait bientôt fait de ravir à Mme Buchholz L’homme qui lui a juré fidélité devant les autels, son Carl adoré, quoique toujours soupçonné, qui est son bien, sa propriété et sa chose. Mais Mme Buchholz a bec et ongles, et elle aime à se battre. Elle a les joies inquiètes, hérissées, mais glorieuses d’une poule qui couve ses œufs et les défend victorieusement contre tous les larrons au museau pointu.

Quant aux classes dominantes, Mme Buchholz ne leur veut ni bien ni mal ; elle les laisse vivre à leur guise et gouverner l’état comme il leur convient ; elle leur interdit seulement de gouverner son ménage et de mettre le nez dans ses affaires domestiques et particulières. Elle fut priée un soir à un raout dans le grand monde, chez des gens qui se glorifiaient de compter une excellence parmi leurs plus proches parens. Ce raout l’a fort ennuyée, et elle a cru s’apercevoir « que les excellences occasionnaient de grandes dépenses dans les familles et produisaient un maigre effet, mageren Effekt. » Au surplus, elle s’est laissé dire qu’il y avait déjà des Buchholz au XVe siècle, que le plus