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mesure qu’il me les donne, il faut les copier moi-même pour les mettre en état d’une recopiées, et cela demande beaucoup de temps. Je passe sous silence mille autres occupations qui me tiennent cloué à mon bureau du matin au soir. » Grimm employait des secrétaires pour la reproduction de ses lettres à plusieurs exemplaires ; son cabinet était un vrai cabinet de rédaction, une boutique, comme il l’appelait lui-même. Ses amis lui en voulaient d’un travail si continuel qui le leur enlevait ; ils l’avaient baptisé la Chaise de paille. Lorsqu’il devint plus tard diplomate et voyageur, Galiani disait plaisamment que la chaise de paille était devenue chaise de poste.

La Correspondance tire son principal intérêt de la liberté avec laquelle l’écrivain s’y exprimait, et cette liberté avait pour garant le petit nombre de lecteurs auxquels les lettres parvenaient et la discrétion que ces lecteurs s’étaient imposée. Prudent de son naturel, Grimm avait pris ses précautions. « Après tout, pensait-il, il vaut mieux dormir tranquillement et se taire ; et le raisonnement le plus profond et le plus lumineux ne vaut pas une nuit passée à la Bastille, » Ses lettres ne parvenaient aux souverains auxquels elles étaient destinées que par la voie de leurs légations de Paris. Le secret était en outre expressément stipulé. Mme Geoffrin, en enrôlant Stanislas-Auguste parmi les souscripteurs, a soin de lui faire la leçon à ce sujet : « Voici le premier paquet, lui dit-elle ; j’y joins la lettre que Grimm m’a écrite en me l’envoyant. Votre Majesté verra qu’il est très important pour fut que ces feuilles-là ne soient pas copiées. On garde à Grimm une grande fidélité dans les cours d’Allemagne où il les envoie. J’ose même dire à Votre Majesté que cela pourrait me commettre, ayant passé par ma main. »

Grimm, en revanche, s’était engagé à la sincérité. « La sûreté qu’on a bien voulu permettre à ces feuilles, écrivait-il, exige de notre part une franchise sans bornes. » Ces feuilles, aimait-il à répéter, sont consacrées à la vérité, à la confiance et à la franchise. L’amitié qui nous lie à plusieurs gens de lettres, dont nous sommes obligé de parler, n’a aucun droit sur nos jugemens. » Il semble, en effet, qu’on ne puisse refuser l’impartialité à l’écrivain, un mérite que lui facilitaient, d’ailleurs, son caractère un peu dédaigneux et une certaine rudesse de conviction, Diderot, qui avait en plusieurs fois à supporter son humeur, avait donné le houx pour enseigne à l’officine où se fabriquait la Correspondance. Et il ne se plaignait pas seulement de la rudesse, mais aussi, à l’occasion, de l’injustice des sentences de son ami. On connaît la lettre amusante qu’il lui adressa un jour à propos d’une critique superficielle et inexacte : « Monsieur le maître de la boutique du Houx