Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 72.djvu/385

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tyrannie. La société politique du moyen âge s’était soutenue par des institutions qui suppléaient à la valeur et au génie de l’individu : la tyrannie avait fait table rase du toutes les institutions et mis à la place le prince. Celui-ci tombé, qu’une révolution ou une invasion l’ait chassé, il ne reste plus rien dans l’état, rien qu’un trône vide où le roi étranger peut s’asseoir. L’asservissement d’une province voisine devient chose indifférente. L’étranger franchit-il la frontière, entre-t-il en Toscane, le Florentin ne s’émeut point encore. Mais que Charles VIII, une fois l’hôte de Florence, fasse mine d’imposer à la seigneurie un traité inquiétant, Florence criera par la bouche de Capponi : « Sonnez vos trompettes, nous sonnerons nos cloches. » C’était trop peu. en vérité ! Si, quand les premières compagnies du roi très chrétien parurent sur les Alpes, toutes les cloches d’Italie s’étaient mises en branle, les cloches de Palerme, qui sonnèrent les vêpres tragiques de 1282, la cloche du Capitole, qui donna si souvent le signal de l’émeute communale contre le pape et les empereurs, les cloches de Milan, qui fêtèrent la victoire nationale de Legnano, toutes, jusqu’au bourdon de Saint-Marc, qui avait tant de fois grondé sur les lagunes contre les Turcs, si elles avaient éclaté en un tocsin unanime, la première invasion s’arrêtait en Lombardie, celle qui, à travers Florence, Rome et Naples, fraya le chemin à toutes les autres. L’histoire accomplit donc son œuvre, avec la logique inflexible qui déplace la fortune des peuples et suspend ou détourne le cours des civilisations. L’Italie, vassale de l’Espagne et de l’empire, allait s’assoupir sous la main de l’église et la garde de l’inquisition, tandis que la renaissance entrait en France.


EMILE GEBHART