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III

Après Valmy, par suite du nouveau plan adopté pour la fin de la campagne, de grands changemens étaient intervenus dans la disposition des troupes échelonnées, tout le long de la frontière, de Dunkerque à Strasbourg. Pendant qu’avec le gros de l’armée Dumouriez pénétrait en Belgique, que Kellermann, avec une division, menaçait Coblentz, Custine prenait une rigoureuse offensive et s’avançait, par une pointe hardie jusqu’à la témérité, sur la route de Francfort. Dans cette nouvelle répartition des forces, Muscat se trouva placé sous le commandement de ce dernier. La fortune, cette fois, ne le favorisait guère. Brave, incontestablement Custine l’était, entreprenant plus encore ; quant à conduire avec suite et méthode une grande opération de guerre et quant à combiner ses propres mouvemens avec ceux des autres armées, il en était parfaitement incapable. Ayant longtemps servi dans les dragons, il eût peut-être fait un excellent commandant d’avant-garde et de cavalerie ; ce n’était pas un général en chef. Avec cela fort personnel, envieux, violent, hâbleur et mal embouché, traitant volontiers ses inférieurs comme des nègres, ses égaux comme des imbéciles, et son ministre, — il est vrai que c’était Pache, — comme le dernier des barbouilleurs de papier. Tel était l’homme sous les ordres duquel Muscar allait faire ses secondes armes. Au point de vue de son éducation professionnelle, l’école de Kellermann, moins brillante, mais plus sage et plus circonspecte, comptant moins sur la fortune, lui eût été bien meilleure. Il ne perdit pourtant pas tout à fait son temps au cours de cette campagne. Parmi tous ses défauts, Custine avait une qualité essentielle à la guerre : il était intraitable sous le rapport de la discipline. Dès la constituante, à l’époque des premiers troubles qui éclatèrent dans l’armée, il prônait publiquement l’exemple du maréchal Laudon, « qui n’avait pas craint, un jour de sédition, de casser de sa propre main la tête à deux de ses soldats. » A Spire, Muscar apprit de lui comme quoi rien ne vaut, au début d’une campagne, quelques bonnes exécutions sommaires pour ramener les voleurs et les pillards.

Il put voir aussi de quel élan, quand il est vigoureusement enlevé, le soldat français est capable dans l’attaque, et cette leçon, pas plus que l’autre, ne sera perdue pour lui. Au point de vue stratégique, la pointe de Custine sur Francfort avec 16,000 hommes de troupes seulement, quand les Prussiens, maîtres de Coblentz, pouvaient à tout moment lui jeter dans le flanc des forces doubles, était bien la plus folle entreprise qui se pût concevoir. Mais quel entrain et quel brio dans l’exécution ! Quelle série de