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cartouches par hommes et mourant de faim, Muscat avait en « des peines incroyables » Il lui avait fallu faire filer ses voitures « attelée de bœufs peu formés aux charrois et conduits par des hommes pleins de mauvaise volonté, par des chemins impraticables où dix fois les gens du pays avaient essayé de le perdre. Encore pour ce coup de main, son nouveau chef, le général Tuncq, lui avait-il envoyé quelque renfort, qu’il s’était, d’ailleurs, empressé de lui retirer. Manifestement, la situation devenait intolérable, et c’est une angoissante lecture, encore aujourd’hui, que la correspondance de Muscar à cette époque. Elle n’éclaire, sans doute qu’un très petit coin de la Vendée mais quelle vive lumière elle y projette, et comme elle en étale crûment la laideur et les misères ! Quel tableau : d’un côté, la faiblesse du commandement, l’insouciance des administrations, le dénûment des troupes, leur indiscipline et leurs brigandages ; de l’autre, un obscur soldat, livré pour ainsi dire lui-même, cerné de toutes parts, environné de traîtres et d’espions sans approvisionnement presque sans pain et trouvant, néanmoins, dans le sentiment du devoir, la résignation et la force nécessaires pour triompher de tant d’obstacles.

Ecoute, cette plainte ; « je fais part au général Tuncq des détails de l’expédition de Châteaubriant… A chaque instant les différens postes de mon commandement se fusillent avec nos féroces ennemis, et tous ces postes sont trop faibles et deviennent de jour en jour plus dangereux. Si le poste de Derval était forcé d’évacuer adieu toute communication, plus de correspondance ! Hélas ! mon général, je ne l’appréhende que trop, il est temps qu’on secoure nos troupes par ici. Leurs fatigues les tuent et elles ne sont pas assez nourries. Aussi chaque jour je suis désolé par les plaintes de pillage. Je fais mes efforts pour en détruire les funestes habitudes, mais la crainte de la commission militaire n’opère rien. Je ne vois d’autre moyen pour empêcher les progrès de ce fléau dévastateur que de faire des exemples terribles à la tête des corps : là seul (sic) ils produiront un bon effet et empêcheront le mal. Si l’on ne se hâte de donner aux chefs des moyens répressifs, les pillards rendront tout le monde chouan[1].

Et plus loin cet appel, ce cri désespéré : « Il est temps général, il est grand temps d’ouvrir les yeux sur cette guerre qui commence à déployer un terrible caractère. Il est temps de nous envoyer des troupes, ou ce pays est à jamais perdu. Les chouans commencent à faire ce qu’ils auraient pu faire avantageusement depuis longtemps : ce ne sont plus des bandits épars, ils se réunissent en grande masse, ils égorgent en détail les faibles détachemens

  1. Lettre au général Chamberlin du 30 fructidor an II.