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communiquait ensuite à ses camarades. J’en extrairai seulement ce passage : « Je suis républicain, et à ce titre, j’aurai toujours le courage de dire la vérité, même à la face des tyrans. Pourquoi ne la dirais-je pas à des chefs républicains comme vous ? La conduite de Humbert indigne tout ce qu’il y a de patriotes. Un général, disposer des forces que la république lui confie pour bâtir l’édifice de sa fortune ! quelle monstrueuse iniquité ! Serions-nous donc encore à ces temps malheureux où le pouvoir n’était que la puissance de s’engraisser impunément de la fortune publique ? Non, non, ces temps sont passés. Point de généraux commerçans ! point de spéculateurs ! La république serait bien périclitante si elle avait beaucoup de Humbert[1]. » Devant cette attitude énergique, Hoche, après quelques hésitations, fut bien obligé de sacrifier son lieutenant : « J’approuve fort, écrivit-il à Muscar, votre conduite envers le général Humbert. J’envoie copie de votre lettre au ministre, en le priant de nous débarrasser (sic) de cet agioteur[2]. »

L’exécution était complète ; et, pour une fois, par hasard, justice était faite et bien faite. Humbert, il est vrai, n’en fut pas autrement incommodé, tant son cas était commun ! Le directoire ne pouvait pas être plus sévère pour cet agioteur qu’il ne l’était pour lui-même et, lors de l’expédition d’Irlande, il n’hésita pas à le pourvoir d’un commandement important ; quant à Muscar, il ne devait pas tarder à connaître à ses dépens comme quoi, pour avancer, en république, il ne faut pas commencer par se mettre à dos les loups-cerviers. Justement, le commandement de la place d’Ostende vint à vaquer ; on l’y appela dans son grade. C’était une retraite déguisée, presque les invalides, pour ce vaillant homme, encore dans toute la force de l’âge et du sang.


VI.

À quelque chose, heureusement, disgrâce est quelquefois bonne : une surprise attendait Muscar dans son nouveau poste. S’il n’eut pas, comme beaucoup de ses camarades, qui avaient suivi Hoche sur le Rhin, la joie de porter à la coalition les derniers coups, il lui était réservé, la paix faite avec le continent, d’infliger à l’amour-propre britannique un des plus cuisans échecs qu’il eût encore éprouvés.

Ni Toulon, ni Quiberon n’avaient pu guérir les Anglais de leur goût pour les débarquemens, et l’Amirauté poursuivait toujours avec la même opiniâtreté ses projets contre nos ports. Le 30 floréal

  1. Lettre aux généraux Hoche, Noël et Rey, en date du 9 ventôse an IV.
  2. Lettre autographe du 18 Ventôse an IV.