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choque aujourd’hui ; notre modération, notre goût, en sont déconcertés et, de fait, elle est souvent insupportable en de certaines bouches : Robespierre, en particulier, y était odieux. Mais comme elle émeut encore, après tout, quand elle est sincère et sans apprêt, quand on sent qu’elle coule de source, quand au lieu d’être la parodie du patriotisme, elle n’en est que l’hyperbole ! Heureuses les nations hyperboliques en ce point ! La France a cru longtemps qu’elle possédait seule des guerriers « magnanimes » et qu’elle était le premier peuple du monde. C’est peut-être pour cela qu’elle l’a été si longtemps, et par la cause contraire qu’elle a cessé de l’être.

Cependant tout à une fin, même et surtout la gloire, elle s’en va plus souvent qu’elle ne vient, sur des ailes. Muscar fut bien vite ; oublié. Qui le connaît aujourd’hui. Il y a quelques mois, lorsqu’une pensée touchante voulut me confier ses papiers, j’ignorais jusqu’au nom de ce vaillant homme qui fit battre un instant la poitrine de nos pères. De son vivant même, Léonidas reçut plus d’eau bénite de cour que d’avancement et d’honneurs. On ne pouvait, après tant d’éclat, lui refuser une demi-brigade : Barras, qui n’aimait pas les gens trop vertueux, la lui donna, mais en lui laissant le commandement d’Ostende, et ce n’est que beaucoup plus tard, en 1811, qu’il eut la satisfaction de voir briller sur sa poitrine l’étoile des braves. Vraisemblablement, l’empereur avait gardé rancune à l’ex-bas-officier de Vivarais.

Toutefois, ces dernières années d’activité s’écoulèrent le plus heureusement du monde pour Muscar. Il s’était marié, — mieux vaut tard que jamais, — avec une fort belle personne qu’il adorait et qui le lui rendait. Il avait conservé quelques vieilles et solides amitiés, de celles que l’intérêt n’a pas nouées et que l’intérêt ne dénoue pas. Son fidèle Hugo, qui ne signait déjà plus Brutus et qui signera bientôt, le comte Léopold-Sigisbert, lui écrivait souvent des lettres pleines de belle humeur et de bonne santé. Ah ! les heureuses gens ! Braves au lit comme au feu, la guerre et l’amour, Mars et Vénus, alternativement, quand ce n’était pas ensemble. Aussi, comme ils aimaient leur métier, j’allais dire comme ils le chantaient, car il était aussi poète à ses heures, entre deux batailles, Hugo le père ! A l’armée les fils ! à l’armée les frères, à l’armée toute la famille Hugo ! « J’ai trois enfans, mon cher Muscar, ce sont des garçons. Mon état est l’état des garçons. Qu’ils marchent sur mes traces, je serai satisfait. Qu’ils fassent mieux que je n’ai pu faire, je bénirai le jour de leur naissance comme j’adore