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beaucoup dire, quoique la fantaisie en sol mineur soit du même ordre que le final de Don Juan, quoique le prélude en mi bémol, la toccata en fa, la fugue brève en mi mineur et son prélude annoncent Beethoven, Une corde pourtant manque à cette lyre, et l’auteur de Roméo le sait mieux que personne. On chercherait inutilement dans les fugues, et même ailleurs, l’expression de l’amour profane. Mais si l’on veut dire seulement que toutes les formes musicales, les plus hardies comme les plus simples, s’y rencontrent, on dit vrai. De nos prétendues découvertes rythmiques, harmoniques, chromatiques, enharmoniques, il n’en est pas une qui n’y soit réalisée par le croisement, par la conjonction des parties. A peine pouvons-nous revendiquer pour nos modernes la science du coloris instrumental, car nous ignorerons toujours ce qu’à l’exécution le cantor de Saint-Thomas apportait d’élémens pittoresques dans sa musique, par l’ingénieux mélange des registres de l’orgue. Mais alors, pourquoi, depuis J.-S. Bach, n’écrit-on plus de fugues en dehors de l’école ? D’abord, et sans parler des français, il existe des fugues de Chérubini, de Mendelssohn, de Schumann, de Liszt, qui valent, comme passe-temps archéologique, les vers lutins de Santeul. Et puis, la vitalité, l’autorité d’une œuvre, n’ont rien à voir avec la persistance du genre auquel elle appartient. Nous l’avons dit, chez Bach le style fugué n’est qu’un moyen, et un moyen qui n’est pas à la portée de tous. Lui seul était capable de le plier à l’expression pathétique : entre les mains des imitateurs, il reprend sa sécheresse, sa raideur originelle, La fugue était condamnée à disparaître avec lui ; mais cette branche morte a poussé des rejets vigoureux dans toute la musique. Mozart, à qui le vieux Doles faisait les honneurs de la bibliothèque de Saint-Thomas, demeurait confondu en parcourant les quelques manuscrits de Bach qui s’y trouvaient encore. Le cri d’admiration qui lui échappe a toute la candeur d’un aveu : « Il y a donc encore quelque chose à apprendre. » Quelle simplicité, et quel hommage ! Cette visite à Leipzig, pendant laquelle Mozart a dû connaître les motets, la Passion de saint Matthieu, probablement aussi plusieurs cantates, est de l’année 1788, entre Don Juan et Cosi fan tutte. Qui oserait affirmer qu’elle est étrangère aux œuvres de la dernière manière, la flûte enchantée, le Requiem, dans lesquelles la tendance allemande l’emporte décidément ? Et cette transformation n’est pas un phénomène isolé. A mesure que l’influence italienne perd du terrain en Allemagne, on y voit grandir celle de J.-Sébastien Bach. Elle est visible chez Beethoven, plus sensible encore chez ses successeurs ; elle s’affirme à chaque pas chez J. Brahms et chez Richard Wagner. Non, certes, que je veuille faire remonter à Jean-Sébastien les aberrations de la soi-disant musique de l’avenir !