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un couvent. Maître de la Sicile et de la Sardaigne, héritier au roi de Naples, il ne pouvait qu’être vu d’un œil défiant par les princes et les républiques d’Italie et par l’empereur d’Allemagne, car il était connu pour être un voisin dangereux et envahissant. Où chercher un allié si ce n’est en Angleterre ? Il y avait bien loin en ce temps de Tolède à Londres ; par terre, en traversant la France, le courrier le plus rapide ne restait pas moins de trois semaines en route ; par mer, la navigation était toujours longue, souvent périlleuse. On ne parlait plus guère sur le continent de l’Angleterre ravagée depuis vingt ans par la guerre civile : on avait appris que des souverains y avaient été détrônés, d’autres assassinés ; à peine savait-on le nom de celui qui régnait alors. Cependant, entre la famille royale d’Espagne et celle des Tudors, il y avait des liens de parenté par des mariages anciens. Au surplus, la démarche courtoise que la politique commandait devait être, en outre, favorable aux intérêts du commerce espagnol. À cette époque, les traités internationaux prenaient fin par la mort du prince qui les avait signés. Depuis l’avènement d’Henri VII d’Angleterre, les navires de l’une des nations risquaient d’être saisis par les corsaires de l’autre. Et pourtant, les deux pays avaient besoin de trafiquer ensemble. L’Espagne avait à vendre de l’huile, des vins, des cuirs : l’Angleterre lui offrait en échange du blé et de l’étain. Les négocians assez habiles pour continuer leurs affaires au milieu de circonstances si difficiles s’y enrichissaient promptement. Ce n’est pas tout : l’amour des armes attirait en Espagne les cavaliers désireux de combattre les infidèles, et les pèlerins plus modestes venaient en pèlerinage aux sanctuaires de Santiago ou de Monserrat.

Bien des motifs justifiaient donc l’envoi d’une ambassade des souverains de Castille et d’Aragon au roi d’Angleterre. Ferdinand n’osa point s’y faire représenter tout d’abord par un homme d’importance. Il avait découvert auprès de Séville un certain Puebla, docteur en droit civil, quelque peu homme d’église parce qu’il était pourvu d’un canonicat, laïque néanmoins puisqu’il était père de famille, pauvre, délié, dépourvu de tout scrupule, du reste boiteux, frêle et maigre comme un ambitieux qui n’a point réussi. Ce fut à ce singulier personnage qu’il confia le soin d’aller sonder les intentions du roi Henri VII. Les instructions qu’il lui donna n’avaient pas plus de franchise que ne le comportait la mine de l’individu : « Amener l’Angleterre à déclarer la guerre à la France. Faire en sorte que, dans le traité d’alliance à conclure, toute la dépense et tous les risques soient du côté de l’Angleterre. Si les promesses d’amitié ne suffisent pas, offrir au prince de Galles la main de l’infante Catherine. » Puebla était de ces serviteurs qui ne compromettent jamais leur maître ; on les désavoue lorsqu’ils ne réussissent pas.