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Embarqué sans suite et sans argent, le chanoine s’alla loger, dès son arrivée à Londres, dans une auberge d’ouvriers, avec lesquels il vivait à table commune. S’enrichir n’omît pas le plus difficile ; Ferdinand lui avait permis de vendre sa protection aux armateurs espagnols ou anglais qui voudraient acheter une sorte de garantie contre les risques que les corsaires leur faisaient courir. Il ne fut pas beaucoup plus embarrassé d’aborder un roi entouré de chapelains et d’aumoniers ; son titre de chanoine lui servit d’introduction. Henri VII ne demandait pas mieux d’ailleurs que d’entrer en rapports avec son frère d’Espagne. Ces deux mis n’avaient pas seulement le même intérêt en Europe, qui était d’empêcher la France de s’étendre : ils avaient aussi les mêmes ennemis intérieurs, c’est-à-dire tous ceux qui discutaient l’autorité de l’église et réclamaient les libertés de la vieille charte. On ne les appelait pas encore les libéraux ; le mot ne fut inventé que plus tard. Bien que très pieux pour la plupart, c’étaient en Angleterre des hommes qui contestaient l’autorité du saint-siège en matière temporelle, qui dédaignaient les saints et les images, méprisaient les moines et cherchaient volontiers la vérité dans la Bible. Henri VII voyait en eux des partisans de la maison d’York qu’il avait supplantée. Il les aurait livrés à l’inquisition, s’il l’avait eue à son service, comme Ferdinand avait livré à cette institution de la Castille les amis de la lumière dans son royaume d’Aragon. Il était d’un intérêt majeur pour lui de s’allier par mariage avec une dynastie que soutenait l’église de tout son pouvoir.

Puebla lui donc promptement admis à la cour et bientôt abouché avec les conseillers du roi d’Angleterre ; mais celui-ci, pacifique par tempérament et par nécessité, — il ne voyait que trop combien son pays avait besoin de vivre en paix pendant bien des années encore, — voulait traiter en premier lieu la question du mariage et reléguer à une époque plus lointaine le traité d’alliance contre le roi de France. L’envoyé de Ferdinand vit qu’il ne pouvait avoir l’un sans l’autre. Ce fut alors sur les conditions accessoires que porta tout le débat, sur la dot en particulier. « Nous voulons une dot de 200,000 couronnes d’or, disaient les Anglais ; et ils citaient d’autres mariages royaux de ce temps où la fiancée n’avait pas en moins. — Mais les rois dont vous parlez, ripostait l’Espagnol, n’avaient qu’une fille à pourvoir ; l’infante Catherine a trois sœurs aînées. — Que vous importe ? ajoutait-on, votre roi en sera quitte pour établir un impôt de plus ; c’est son peuple qui paiera. — Mais au moins l’argenterie, les joyaux que le roi donnera à sa fille seront acceptés comme acompte. » Le traité fut enfin conclu ; non pas tel que Ferdinand l’avait désiré, car l’Angleterre ne s’engageait que vaguement à tenter la conquête de la Normandie et de la Guyenne, tandis