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était déjà débattue par les docteurs et soumise aux délibérations des évêques d’Angleterre avant que le roi eût remarqué Anne de Boleyn. Le plan que poursuivait le cardinal Wolsey, alors tout-puissant, était tout autre. Archevêque d’York, premier ministre, légat du pape auprès de son souverain, il rêvait plus encore : il voulait la tiare. Les cardinaux d’Espagne et d’Allemagne, subjugués par Charles-Quint, ne pouvaient lui être qu’hostiles ; il crut gagner les suffrages des Français et des Italiens, opposés à l’empereur, en préparant un traité d’alliance entre François Ier et Henri VIII. L’une des conditions de ce traité était le mariage du roi d’Angleterre avec une princesse française, Marguerite de Valois ou Renée de Savoie. Ce fut au milieu de ces négociations qu’Henri VIII rencontra par hasard Anne de Boleyn dans une visite qu’il fit au vicomte de Rochford, son père. Il n’avait alors que trente-cinq ans ; il était dans la force de l’âge ; à toutes les qualités d’un brillant gentilhomme il joignait les séductions du souverain pouvoir. Les femmes qu’il avait remarquées ne lui avaient jamais été cruelles. Soit vertu, soit calcul, Anne refusa d’écouter le langage qu’il voulut lui faire entendre. On raconte qu’elle lui fit la réponse de doña Sol à Charles-Quint : trop noble pour être sa maîtresse, elle ne l’était pas assez, pour être son épouse. Dans le monde où elle vivait, le caractère légal du mariage entre le roi et Catherine n’était plus admis. Le vicomte de Rochford revenait précisément d’une ambassade en France, où il avait discuté, d’après les instructions de Wolsey, l’union d’Henri VIII avec une parente de François Ier.

Ce que l’on avait appelé d’abord l’affaire secrète du roi était devenu une affaire publique à laquelle prenaient intérêt non-seulement les Anglais, désireux que leur souverain eût un héritier mâle, mais encore les monarques de l’Europe, puisque du mariage d’Henri VIII dépendait l’alliance de l’Angleterre. Que Catherine fût répudiée, l’influence espagnole s’évanouissait à Londres ; la petite-fille de Ferdinand et d’Isabelle ne pouvait plus être reine ; aussi Charles-Quint soutenait-il la cause de sa tante encore plus par raison politique que par affection de famille. Pour le même motif, le pape Clément VII, que presque tous étaient encore disposés à prendre pour arbitre, hésitait, partagé entre la crainte de l’empereur, qui dominait l’Italie, et le désir de se concilier les rois de France et d’Angleterre. Enfin le pape, se dérobant à l’influence de l’empereur, consentit à remettre la décision de l’affaire aux soins de deux cardinaux, qui se constitueraient à Londres en cour de justice. L’un des deux était Wolsey, le propre ministre d’Henri VIII ; son avis était connu d’avance. L’autre était Lorenzo Campeggio, sur qui le roi pouvait compter tout autant, parce qu’il se l’était attaché depuis longtemps par de nombreux bienfaits et, notamment, en lui donnant