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près du palais de Mécène. C’était pour lui une ville trop bruyante, trop affairée, et il ne pouvait écrire qu’au milieu du calme et du silence. Pour mettre la dernière main à ses Géorgiques, il s’enfuit à Naples ; quand il s’agit de l’Enéide, il éprouva le besoin d’aller plus loin encore : on nous dit qu’il en composa une partie en Sicile,

Il est probable que la première révélation qu’il eut de la Sicile lui était venue des Idylles de Théocrite, et que c’est là qu’il apprit d’abord à la connaître et à l’aimer ; or nous savons à quel moment et de quelle manière son attention fut appelée sur le poète sicilien. Il avait vingt-cinq ans et vivait dans la ferme de son père, un paysan aisé, qui lui avait donné l’éducation d’un grand seigneur. Il y était revenu, après la fin de ses études, et vraisemblablement il ne songeait pas à en sortir. Tandis qu’il menait une existence oisive et rêveuse dans ces belles campagnes « où le Mincius promène son cours paresseux, » la poésie Fermentait en lui et cherchait à se répandre. Son imagination, encore assez mal réglée, l’entraînait de tous les côtés ; il semblait ne pas se bien connaître et ne savait pas se fixer : tantôt il composait de petites pièces de circonstance sur les événemens futiles dont on parlait autour de lui ; tantôt il enflait la voix, et, passant d’un extrême à l’autre, il ébauchait un commencement d’épopée. Les vers qu’il écrivait ainsi au hasard étaient lus de ses amis et devaient lui faire dans le voisinage une certaine réputation. Pollion gouvernait alors la Cisalpine : c’était un homme d’esprit, historien et poète à ses heures, qui a toujours eu le goût de patronner la littérature. Il devina sans doute le talent de son jeune administré, et, fâché des incertitudes où s’attardait un si beau génie, il voulut le mettre dans une voie régulière et lui indiqua un modèle à suivre.

Ce modèle était Théocrite, que les écrivains romains semblaient avoir jusque-là négligé. L’étude de Théocrite charma si bien Virgile que, pendant trois ans au moins, il n’a fait autre chose que de l’imiter. Quoiqu’aucun critique ancien ne nous ait dit par quelles qualités cet auteur a dû surtout lui plaire, il ne tue semble pas qu’il soit difficile de le deviner. Je m’imagine que, dans cette confusion des premières années, quand les élémens dont s’est composé son génie ne s’étaient pas encore unis et fondus ensemble, il devait sentir en lui deux tendances diverses qui l’entrai liaient en sens contraire. En réalité, il a reçu deux éducations différentes dont jusqu’à la fin il a gardé l’empreinte. La nature fut d’abord son maître, un maître dont les leçons l’ont ravi et qu’il a toujours aimé avec passion. Son enfance s’est passée dans les champs, et les champs, pour qui sait les comprendre, sont une école de naturel et de simplicité ; ils donnent le goût du vrai, du naïf, du