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oublier dans sa prison ; mais non, elle suscite des ennemis à sa rivale, elle est de toutes les conspirations, tantôt complice, le plus souvent instigatrice. La situation que lui donne sa naissance est au surplus bien singulière. Qu’Elisabeth meure ou soit détrônée, c’est la reine d’Ecosse qui la remplacera, et les partisans de la réforme ne peuvent songer sans terreur au règne éventuel de cette autre Marie qui, de même que la fille de Catherine d’Aragon, se signalera sans aucun doute par une violente et sanguinaire réaction en faveur de l’église catholique. Quel est le prélat, le juge, l’homme d’état que cette perspective ne doive effrayer ? On a prétendu que les hésitations d’Elisabeth après la condamnation à mort de la reine d’Ecosse furent pure hypocrisie et qu’elle eut l’art de rejeter sur ses conseillers l’odieux de cette exécution capitale. Il est pourtant bien vraisemblable que la princesse prisonnière inspirait plus de crainte au peuple et au parlement qu’à la souveraine.

L’année d’après, l’Invincible Armada croisait dans la Manche, allait prendre à Calais les troupes de Flandre pour les débarquer sur les côtes de la Grande-Bretagne. A aucune époque des temps modernes, la nation anglaise ne courut un si grand péril, et, de fait, elle ne fut jamais plus unie en face du danger ; les catholiques du Nord se montrèrent aussi ardens que les protestons du Sud à s’armer contre l’étranger ; mais, dans cette circonstance encore, les fanatiques ne renonçaient pas à la lutte. Philippe, comte de Norfolk et d’Arundel, enfermé dans la tour de Londres à la suite d’une conspiration, y faisait célébrer la messe pour le succès des espagnols. Si ceux-ci avaient réussi, Philippe et ses complices auraient passé pour des héros ; les Espagnols échouèrent ; ces prisonniers furent condamnés à mort. Elisabeth refusa de faire exécuter la sentence. Mais est-il surprenant que tout bon anglais ait conservé des sentimens de haine envers ces traîtres et envers la religion qui les inspirait ? Le rêve d’Elisabeth fut de vivre en paix avec tout le monde, et ce fut une de ses gloires. Sauf quelques insurrections partielles, son autorité n’avait jamais été sérieusement, compromise à l’intérieur ; au nord, elle n’eut plus rien à craindre des Écossais après la chute de Marie Stuart ; au sud, elle entretenait des relations amicales avec le roi de France, tout en manifestant sa préférence pour les protestans au milieu des querelles religieuses qui ensanglantaient alors notre pays. Avec l’Espagne, après la défaite de l’Armada, elle semblait avoir conclu une trêve plutôt qu’un traité de paix : c’était toujours de ce côté que les Anglais et leur souveraine croyaient voir surgir le péril.

Sévère à l’occasion, ferme en ses desseins, inspirée par un sentiment juste de la politique qui convenait à son pays, Elisabeth fut en somme une vraie reine. L’Angleterre lui dut de longues années