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cheveux noirs relevés d’un ruban qui lui ceint le front ; quelques boucles se sont échappées de dessous ce ruban. Les unes tombent sur sa gorge, les autres se répandent sur ses épaules et en relèvent la blancheur. Son vêtement est simple et négligé. » L’impression de Diderot est évidemment que Grimm est préoccupé, refroidi, et que Mme d’Épinay s’en aperçoit par momens et en souffre. Il a oublié un rendez-vous. « J’ai su cela le lendemain, on en avait la larme à l’œil, et tout en pleurant on disait : C’est que ses affaires l’occupent si fort qu’il ne peut penser à rien ; c’est qu’il est bien à plaindre et moi aussi ; et on l’excusait avec une bonté qui me touchait infiniment. Pour moi, je me taisais, et elle disait : Mais vous ne me dites rien, philosophe ! Est-ce que vous croyez qu’il ne m’aime pas ? Que diable voulez-vous qu’on réponde à cela ! Dire la vérité, cela ne se peut ; mentir, il le faut bien. Laissons-la du moins dans son erreur, le moment qui la détromperait serait peut-être le dernier de sa vie. »

En même temps, je le répète, relâchement moral. L’année précédente encore, Mme d’Épinay, dans son portrait de Grimm, disait qu’en morale et en philosophie « il avait des principes sévères qu’il ne se permettait point de modifier ni d’adoucir suivant les circonstances. » Que nous sommes loin de là maintenant ! « L’abbé Galiani vient d’arriver, écrit Diderot, toujours de La Briche. Ses contes ne m’amusent plus comme auparavant ; j’étais mieux entre M. Grimm et son amie. Grimm a un peu déplu à Mme d’Épinay ; il ne désapprouvait pas assez le propos d’un homme de notre connaissance, appelé M. Venel, qui disait qu’il fallait garder la probité la plus scrupuleuse avec ses amis, mais que c’était une duperie d’en user mieux avec les autres qu’ils n’en useraient avec nous. Nous soutenions, elle et moi, qu’il fallait être homme de bien avec tout le monde sans distinction. L’abbé Galiani m’a beaucoup déplu, à moi, en confessant qu’il n’avait jamais pleuré de sa vie, et que la perte de son père, de ses frères, de ses sœurs, de ses maîtresses ne lui avait pas coûté une larme. Il m’a paru que cet aveu n’avait pas moins choqué Mme d’Épinay. » La situation est claire ; c’est le roman qui est en train de finir pour faire place à la réalité, au désillusionnement, bien que sans atteindre, nous le verrons, l’attachement solide et le dévoûment. « Mme d’Épinay a en un accès de migraine dont elle a pensé périr. J’allai la voir le lendemain ; nous passâmes la soirée tête à tête. La sévérité de son ami se perd, il distingue deux justices, une à l’usage des souverains. Je vois tout cela comme elle, cependant je l’excuse tant que je puis ; à chaque reproche, j’ajoute en refrain : « Mais il est jeune, mais il est fidèle, mais vous l’aimez ; et puis elle rit. »

Il en fut de cette liaison comme il arrive à des mariages plus